Édition du 9 décembre 2002 / volume 37, numéro 15
 
  L’appel des esprits
Monique Desroches étudie le rôle de la musique dans les rituels chamaniques, de possession et d’offrande.

 

Un prêtre tamoul dépose des offrandes à la divinité qu’il implore au cours d’une cérémonie de guérison où il entrera en transe. 

Entrer en contact avec un esprit ou une divinité nécessite une technique bien précise. Sinon, l’entité ne répondra pas.

Cette loi fondamentale de tout rituel religieux reçoit une nouvelle confirmation dans les travaux de Monique Desroches, professeure à la Faculté de musique. L’ethnomusicologue étudie depuis 25 ans le rôle de la musique dans les rituels de transe et de possession chez les Tamouls de la Martinique et de La Réunion. Elle livrait ses observations au colloque sur le chamanisme et la possession, tenu le 25 novembre dernier.

En analysant les modulations dans les battements de tambour des musiciens qui accompagnent le prêtre tamoul, la chercheuse a pu observer que la transe se produit toujours lorsque les tambours arrivent à un type de battement particulier et synchronisé.

«Le rythme des tambours est cyclique, sans cesse répété jusqu’à ce que les tambourineurs atteignent la même cadence et le même son, a-t-elle relaté. La possession ne surviendra que si l’appel est bien mené, avec un son qui plaît aux oreilles de l’esprit recherché. Si le son n’est pas le bon, l’esprit ne se manifestera pas. Et dès que les premiers signes de la possession apparaissent, les tambours cessent.»

Ses travaux sur les battements de tambour dans les cérémonies tamoules ont été publiés en 1996 sous le titre Tambours des dieux (L’Harmattan). Depuis, Monique Desroches a noté une transformation de ce rituel correspondant à l’évolution sociale des Tamouls de la Martinique.

Alors que les cérémonies de possession ont permis aux Tamouls des milieux ruraux de faire leur place dans la société en impressionnant les créoles, les Tamouls des milieux urbains, d’un statut social plus élevé, rejettent aujourd’hui ce rituel considéré comme ancien et perçu comme une perte de contrôle de la part du prêtre.

«Ils ont abandonné le tambour, trop associé aux sacrifices d’animaux, pour le remplacer par l’harmonium, le sitar et le chant selon les divinités recherchées. On est passé d’une logique de l’appel des esprits à une logique d’hommage rendu aux divinités», a-t-elle remarqué.

L’ethnomusicologue, qui se présente comme une «lévistraussienne qui a fait “le cru et le cuit”», pour paraphraser un ouvrage du célèbre anthropologue, note également des différences symboliques dans l’usage du tambour entre les cultes de possession et le chamanisme. Chez les Inuits, le chaman utilise le tambour non pas pour appeler un esprit mais parce qu’il se sent lui-même transporté vers le monde des esprits par le son du tambour. «Nous sommes dans une logique de départ plutôt que dans une logique d’appel», a souligné la chercheuse.

Chaman ou possédé?

Cette symbolique du «départ» du chaman pour le monde des esprits et de l’appel de l’esprit chez le «possédé» demeure la principale distinction entre ces deux types de «contacts» avec l’au-delà, selon ce qui ressort de ce colloque qui était organisé par le Département d’anthropologie et le Centre d’étude des religions.

Pour Roberte Hamayon, professeure à l’École pratique des hautes études de Paris, spécialiste du chamanisme de la Mongolie, les deux modes de contact peuvent coexister au cours de la même cérémonie et chez le même acteur. Celle qui voudrait «qu’on en finisse avec la transe chamanique» reconnaît toutefois que la fonction rituelle diffère selon le mode: le chaman recherche la chance et le succès, alors que le possédé veut éloigner un malheur.

Même son de tambour chez Frédéric Laugrand, de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. «Le chamanisme et la possession peuvent être considérés comme les deux pôles d’un même axe», a-t-il affirmé à la lumière de son analyse du chamanisme inuit.

Selon John Leavitt, professeur au Département d’anthropologie, aucune définition du chamanisme et de la possession ne décrira totalement ces phénomènes. Il propose de cartographier le domaine des échanges entre humains et esprits afin d’en tirer des scénarios plutôt que des définitions.

Et pour couronner ce type de distinctions dont seuls les ethnologues ont le secret, Jean-Claude Muller, également du Département d’anthropologie, y est allé d’une histoire de cas inextricable pour conclure par un «on ne sait plus où l’on en est» fort à propos.

Comme le mentionnait en ouvrant le colloque le modérateur Robert Crépeau, du même département, la dichotomie entre chamanisme et possession proposée par l’ethnologue belge Luc de Heusch dans les années 60 paraît donc de moins en moins utile même si, à l’époque, elle a pu nourrir la réflexion.

Daniel Baril




 
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