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Selon Daniel Desbiens, l’aspect «service public» du rôle des policiers doit être valorisé. Mais le principal obstacle à l’implantation de la police communautaire semble être la mentalité policière elle-même.
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«Les policiers veulent consacrer 80 % de leur temps à la répression et 20 % à la prévention. La police communautaire leur demande l’inverse», constate Daniel Desbiens, un enquêteur du Service de police de Montréal qui a étudié la résistance au changement des policiers dans un doctorat en criminologie.
Les policiers, explique-t-il, aiment les enquêtes, les filatures et les chasses à l’homme. Selon M. Desbiens, cette vision très hollywoodienne de leur profession retarde la mise en place de la «police de quartier de type communautaire», officiellement implantée depuis janvier 1997 à Montréal.
Au terme de plusieurs années d’études, l’étudiant a déposé sa thèse de doctorat en décembre dernier. «Les policiers sont des chasseurs, lance-t-il. Ils veulent attraper les malfaiteurs et les conduire en prison. C’est ce qu’ils apprécient, c’est ce qu’ils valorisent. Peu d’entre eux s’imaginent incarner le rôle du policier communautaire, que certains qualifient de “police bonbon”.»
Grâce à une étude de cas, complétée par des interviews semi-dirigées de 24 personnes dont les deux directeurs du Service de police en fonction durant la période étudiée, M. Desbiens a constaté que les résistances étaient organisationnelles et culturelles. «Certains éléments à l’intérieur du Service constituent un frein à l’implantation de la police de quartier, révèle-t-il. C’est le cas du recrutement, de la sélection des candidats et de la promotion. Si vous voulez monter dans la hiérarchie, il vaut mieux que vous ayez prouvé que vous étiez un bon chasseur. Un policier qui n’a travaillé que dans la police communautaire risque de rester dans ce secteur.»
Dans sa thèse, M. Desbiens se montre sévère envers les attitudes réfractaires au changement qui témoignent d’une «police refermée sur elle-même qui refuse de rendre des comptes aux citoyens».
Toutefois, il ne faut pas penser que la police communautaire réglera tous les problèmes. À son avis, la police idéale doit intégrer un volet répressif, «autrement, toute forme de changement vers le communautaire dans le travail policier demeurera du domaine de l’utopie… ou des relations publiques», écrit-il en conclusion.
Un bon dosage
Selon M. Desbiens, syndicats et cadres intermédiaires n’ont pas encore fait toute la place à la nouvelle philosophie policière, et cette résistance freine son implantation. Il déplore aussi l’absence de planification dans ce qui apparaît comme un changement de paradigme.
Cependant, le criminologue ne pense pas que la police communautaire puisse être efficace dans l’ensemble d’une ville comme Montréal. «À mon avis, dans les quartiers aux prises avec une forte criminalité, la répression doit demeurer prioritaire.»
Un bon dosage des philosophies préventive et répressive est éminemment souhaitable, estime le spécialiste. Policier à Montréal depuis 1984, Daniel Desbiens a pu expérimenter lui-même l’approche mixte au cours d’une opération menée dans les années 90. Les actions concertées en élaboration de solutions (ACES) voulaient proposer une nouvelle façon de réduire la criminalité dans des quartiers à risque.
Des sondages effectués auprès du public et des enquêtes sur la localisation des crimes avaient révélé certains points chauds de Montréal comme Parc-Extension, Côte-des-Neiges, la Petite-Bourgogne et le square Saint-Louis. Ces lieux pouvaient devenir de véritables ghettos où les vols de véhicules, les vols qualifiés et les entrées par effraction se multiplieraient. Avec la collaboration de spécialistes en criminologie, travail social et psychologie, un programme a été élaboré. Ce programme comportait un volet répressif, mais aussi des activités de prévention. «Dans mon esprit, la police communautaire doit favoriser une répression intelligente, réfléchie, ciblée. Dans le cas des ACES, cela a bien fonctionné. Je crois que nous avons réussi à plusieurs reprises à briser le processus de formation des ghettos de criminalité.»
Un parcours atypique
En déposant sa thèse, Daniel Desbiens a atteint un objectif qu’il s’était fixé il y a près de deux décennies. Entré dans la profession de policier à l’âge de 20 ans à la suite d’une formation collégiale en techniques policières, il a exercé ses fonctions d’agent de police à Maniwaki et à Saint-Donat avant de passer à la Gendarmerie royale du Canada, à Regina. Il a été agent au Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (aujourd’hui le Service de police de Montréal) une quinzaine d’années avant de devenir enquêteur, en 1999. Il est spécialisé aujourd’hui dans le blanchiment d’argent et travaille au sein de l’escouade Carcajou de la Sûreté du Québec, où il est sergent détective enquêteur. Il a participé de près à l’opération Printemps 2001.
M. Desbiens est le premier policier du Service de police de Montréal à obtenir un doctorat mais pas le premier du Québec à porter le titre de docteur; Luc Hébert, de la Sûreté du Québec, l’a précédé en 1998. Tous deux ont travaillé sous la direction du professeur André Normandeau, de l’École de criminologie.
Au quartier général de la Sûreté du Québec, où il a donné rendez-vous à Forum, le policier docteur parle de son intérêt pour les études universitaires, qui lui ont demandé de nombreux sacrifices mais qui lui ont également apporté beaucoup de satisfaction. Après une maîtrise sur l’évolution du syndicalisme à la Sûreté du Québec de 1960 à 1985, il a entrepris ses études de doctorat sur un sujet qui allait faire couler beaucoup d’encre. «J’ai eu la chance de pouvoir étudier une situation qui évoluait sous mes yeux. J’étais à la fois acteur et observateur parce que je participais aux actions concertées en élaboration de solutions.»
Il donne des conférences sur le sujet traité dans sa thèse. Récemment, il était invité à livrer ses réactions devant 150 cadres de services policiers.
Mathieu-Robert Sauvé