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Micheline Frenette a étudié la relation triangulaire entre le chercheur, le professionnel et le public. |
Au moment où s’achevait, l’automne dernier, le séminaire de doctorat sur le partage des connaissances entre les scientifiques, les professionnels de la santé et le public, Micheline Frenette a pris conscience qu’elle avait pour ainsi dire tapé dans le mille.
En effet, si l’on parle depuis plusieurs années déjà de transfert technologique ou de transfert de connaissances en sciences naturelles, le secteur des sciences sociales semblait être resté sur la touche. Mais on vient vraisemblablement de sauter dans le train. Et en poussant la démarche une station plus loin, puisqu’il n’est plus question de transfert mais bien de partage.
Non seulement veut-on que les connaissances scientifiques dépassent les seules publications pour initiés mais encore désire-t-on écouter et prendre en considération les besoins, les préoccupations et le savoir expérientiel des praticiens et du public.
La question du partage des connaissances est dans l’air. Ainsi, le 71e congrès de l’ACFAS se tiendra en mai, à l’Université du Québec à Rimouski, sur le thème des savoirs partagés «parce que celui-ci renvoie à des valeurs humanistes et sociales» et parce que «le savoir acquiert toute sa valeur quand il est partagé avec d’autres», écrit-on dans la présentation. Et à l’Université de Lyon, en février, le Colloque international en sciences de l’information et de la communication aura également pour thème le partage des savoirs.
Micheline Frenette, qui est professeure au Département de communication, en est venue à s’intéresser à cette question après avoir été invitée à se joindre à l’Alliance de recherche pour le développement des enfants dans leur communauté (ARDEC). L’ARDEC regroupe des chercheurs en psychologie et en communication, des professionnels de la santé publique et des intervenants du secteur communautaire. Ils se sont, entre autres, donné pour mission de produire des connaissances sur l’intervention communautaire et de les rendre accessibles aux communautés concernées, notamment grâce à des projets de revalorisation de quartiers.
«Dans la mise sur pied d’un programme pour améliorer l’alimentation des jeunes mères, par exemple, se pose la question de la transmission des résultats de recherche aux parents et aux professionnels, explique Micheline Frenette. Il faut donc voir comment traduire ces résultats, quelles stratégies de communication adopter, quels outils utiliser compte tenu du niveau de scolarité et de la diversité culturelle du public visé.» L’idée du séminaire bidisciplinaire et interuniversitaire sur le partage des connaissances, qu’elle a organisé avec son collègue Camil Bouchard, du Département de psychologie de l’UQAM, lui est apparue comme un moyen de faire participer des étudiants au doctorat à cette démarche.
«Mais une telle réflexion sur la dynamique d’interaction entre les chercheurs et le public ainsi qu’entre les chercheurs et les professionnels n’avait jamais à notre avis été entreprise.» Mme Frenette est de ceux qui croient que les chercheurs ne peuvent pas seulement se contenter de publier leurs résultats dans des revues spécialisées. Cependant cette dimension de diffusion élargie des résultats de la recherche fait appel à des compétences et à des habiletés tout à fait autres que celles exigées pour la recherche, constate-t-elle.
Une relation triangulaire
Pour étudier cette relation triangulaire entre le chercheur qui produit des connaissances, le professionnel qui met en œuvre des programmes et le public à qui cette recherche doit profiter, les deux responsables ont divisé le séminaire en trois volets. Le premier portait sur les relations entre les chercheurs, dans le cas présent des psychologues et des spécialistes en communication. «Comme chaque discipline découpe le monde de façon différente, observe Micheline Frenette, cela nous a amenés à réfléchir sur la pratique de la recherche, sur la valeur relative de la science, sur la place des sciences sociales et sur les moyens de faire en sorte qu’elles servent.»
Dans le deuxième volet, qui traitait des relations entre le chercheur et le public, le questionnement portait sur le rôle du chercheur à l’égard des citoyens, sur ses rapports avec les médias et sur sa responsabilité de faire connaître les résultats de sa recherche, ainsi que sur la question de la vulgarisation scientifique.
Enfin, les relations entre le chercheur et le professionnel, sujet du troisième volet, ont conduit les participants à s’interroger sur la connaissance intuitive et le savoir «expérientiel» du professionnel qui est sur le terrain. Comment concilier le savoir du chercheur basé sur l’expérience scientifique et celui du professionnel confronté à des réalités bien concrètes dans sa pratique ? Comment ces savoirs peuvent-ils s’agencer pour mener à l’atteinte d’un but commun?
Le séminaire a aussi donné lieu à des études de cas. Ainsi, Mario Bujold, du Conseil québécois du tabac et de la santé, a été invité à expliquer comment son organisme utilisait les résultats de recherche pour mener son action dans la population. De plus le séminaire a permis l’élaboration d’une importante base de données.
Mme Frenette, qui se dit emballée par l’expérience, ne peut préciser pour l’instant quand ce séminaire de doctorat sera de nouveau offert, mais elle espère que, lorsque ce sera le cas, celui-ci pourra être étendu à d’autres disciplines. Elle invite donc ses collègues des sciences sociales à entrer dans la ronde et à consulter la base de données constituée en marge du séminaire.
Françoise Lachance