Édition du 20 janvier 2003 / volume 37, numéro 17
 
  L’homme qui aimait trop les chevaux
Le professeur Christopher Earls étudie un cas singulier de zoophilie exclusive.

 

La plupart des cas de zoophilie relèvent de la diversion sexuelle plutôt que d’un trouble de la personnalité, souligne le professeur Christopher Earls. 

Un Canadien de 54 ans est actuellement incarcéré dans un pénitencier du Canada pour avoir eu des rapports sexuels avec sa jument, qu’il a finalement tuée par jalousie.

Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, a cliniquement démontré que le quinquagénaire (appelons-le Monsieur X) avait une préférence sexuelle marquée pour les chevaux.

Ses travaux ont récemment été publiés dans la revue Sexuel Abuse. Il s’agit du premier cas de zoophilie «pure» rapporté dans toute la littérature scientifique.

«Quelques actes de bestialité ont été décrits par des chercheurs dans le passé, mais aucune de ces actions ne répondait à tous les critères énoncés dans le Manuel diagnostique et statistique des désordres mentaux», signale le psychologue. Selon ce document, qui répertorie les problèmes de santé mentale, un zoophile est une personne qui éprouve une attirance sexuelle envers des animaux ou qui a eu des relations sexuelles répétées avec des bêtes accompagnées d’une excitation importante. Cette personne choisit également d’avoir des rapports sexuels avec des animaux de préférence aux partenaires humains.

«La majorité des zoophiles ne vont pas au-delà des deux premiers critères, précise M. Earls. Voilà pourquoi le cas de Monsieur X, qui a présenté une nette préférence sexuelle pour les chevaux, est si exceptionnel.»

L’homme en question s’est prêté de bon gré au test du pléthysmographe, qui mesure l’excitation sexuelle par les changements de circonférence pénienne. Le sujet a regardé des diapositives ou écouté des extraits de bandes sonores qui évoquaient différentes situations sexuelles, consentantes ou violentes, avec des femmes, des hommes, des enfants et différents animaux de ferme. L’appareil enregistrait en même temps ses niveaux d’excitation.

À la vue des chevaux, l’excitation a provoqué une variation du volume du pénis de 4,3 millimètres, indique le psychologue. Par contre, Monsieur X a eu une réaction minimale, soit une modification de la circonférence pénienne d’à peine 1 millimètre, à toutes les autres catégories de stimulus, incluant les interactions avec les autres animaux de ferme.

«Non merci!»

Dans la recherche menée par Christopher Earls, l’histoire invraisemblable de Monsieur X est présentée de façon objective. «Le sujet a grandi à la campagne. Très jeune, il a eu la responsabilité de s’occuper des animaux de la ferme. Il ne sait pas quand son “amour excessif pour les chevaux” a débuté, écrit le chercheur, mais il a eu des relations sexuelles avec une variété d’animaux, en commençant par des poulets pour finir avec des juments. Son attachement pour les chevaux n’est pas limité aux actes sexuels. On note une composante émotive très importante.»

Au cours de sa carrière, le professeur Earls a observé de nombreux cas de déviances et d’agressions sexuelles. Celui de Monsieur X figure parmi les plus spectaculaires. Sous l’effet de la colère (la jument s’était accouplée avec un étalon), Monsieur X a tué la bête en insérant son bras en entier dans le vagin de l’animal. Le cheval est mort à la suite d’un déchirement de la paroi vaginale. Lorsqu’il s’est présenté devant la justice, il s’agissait de sa quatrième condamnation pour des délits similaires envers des juments. Son dossier judiciaire ne signale aucune autre infraction.

Comme les attitudes de bon nombre de pédophiles, le comportement déviant du sujet est rattaché à des troubles de la personnalité et à des distorsions cognitives: il croit notamment que les juments sont attirées sexuellement par lui et il pense que ses actes ne nuisent pas aux animaux, souligne le psychologue, qui agit depuis 20 ans à titre d’expert auprès des agresseurs sexuels. Il rappelle que l’article 160 du Code criminel interdit les actes de bestialité même si l’animal ne subit pas de blessure particulière. C’est l’acte en lui-même qui est proscrit.

Est-il possible de traiter ce type de déviance sexuelle? Le traitement aversif, une approche utilisée notamment auprès des pédophiles, connaît un certain succès chez les sujets consentants, répond le spécialiste. «Cette méthode consiste à associer le fantasme déviant à une expérience désagréable, par exemple respirer de l’ammoniac. L’objectif est d’arriver, au bout de plusieurs semaines, à l’extinction de réaction physiologique à des scénarios déviants au profit de fantasmes normaux.»

Malheureusement, Monsieur X a refusé le traitement. «Non merci!» a dit le zoophile, qui n’a montré aucun remords à la suite du décès de sa jument. Son seul regret est d’être incarcéré.

Diversion ou perversion?

Selon Christopher Earls, la zoophilie est une pratique marginale même si la profusion d’images contre-nature sur le Web laisse croire le contraire. Le moteur de recherche Google présente en effet pas moins de 179 000 pages Internet consacrées à la zoophilie. En un clic de souris et en acceptant de payer des frais, l’internaute peut voir des photos et des extraits vidéo sur lesquels des jeunes femmes et des hommes se livrent à des actes de bestialité. Les interactions vont de la fellation à l’introduction du sexe de l’animal dans le vagin ou l’anus ou la pénétration de l’animal par les mêmes orifices.

Le phénomène n’est pas récent. La zoophilie existe depuis la nuit des temps. En 1953, le rapport Kinsey établissait la proportion générale de zoophiles dans la population des États-Unis à huit pour cent pour les hommes et à cinq pour cent pour les femmes. Pas si marginal! «Il n’existe pas de données récentes sur le sujet, mais on peut croire que ce comportement est moins en vogue compte tenu de la plus grande liberté sexuelle qui caractérise nos sociétés», souligne Christopher Earls.

Si l’on en croit Sigmund Freud, une des raisons principales de l’apparition des plaisirs déviants est l’abstinence sexuelle. L’être humain développerait des perversions à défaut de pouvoir satisfaire normalement ses pulsions sexuelles. Ainsi, faute de partenaire par exemple, la zoophilie peut parfois devenir une forme de substitution comme peut l’être la masturbation. Mais ce n’est pas le cas de Monsieur X, qui a pris goût à la zoophilie très jeune.

Le psychologue estime nécessaire de distinguer la «paraphilie», soit le comportement problématique rattaché à des troubles de la personnalité, de l’acte de bestialité isolé. «Les gens qui ont une expérience sexuelle avec des animaux commettent souvent l’acte pour le simple plaisir d’essayer quelque chose de différent, affirme-t-il. Même s’il reste à comprendre le sens de leur fantasme, il s’agit, dans leur cas, davantage d’une diversion que d’une perversion.»

Dominique Nancy





 
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