Édition du 20 janvier 2003 / volume 37, numéro 17
 
  La sécurité prend le pas sur la situation des réfugiés
L’attentat avorté d’Ahmed Ressam a remis à l’avant-plan la question de la sécurité.

 

Nathalie Morin 

Depuis trois ans, le principe de sécurité est passé devant les besoins des demandeurs d’asile au pays. Ces derniers doivent composer avec des autorités canadiennes devenues nerveuses depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

«On accuse le Canada d’être une passoire, ce qui n’est pas complètement faux. Mais les États-Unis ont aussi leurs problèmes. Il y a maintenant beaucoup plus de collaboration entre la Gendarmerie royale du Canada et les autorités américaines. Et cette collaboration va s’accentuer, c’est inévitable.»

Dans son mémoire de maîtrise en anthropologie, Nathalie Morin retrace l’historique des réfugiés et de la législation canadienne à leur égard. Elle établit une nette distinction entre la situation des immigrants et celle des demandeurs d’asile.

 

Un peu d’histoire

Depuis la nuit des temps, les populations se déplacent sur la planète pour fuir des guerres, des tremblements de terre ou d’autres fléaux. Nathalie Morin soutient toutefois que c’est surtout depuis la Deuxième Guerre mondiale que les réfugiés migrent de plus en plus loin de leur lieu d’origine et en si grand nombre.

À l’issue du conflit, l’Organisation des Nations Unies s’est penchée sur la question des réfugiés. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a été créé en mars 1948. En 1951, la convention de Genève révisait tous les textes antérieurs relatifs au statut des réfugiés et des apatrides. Le protocole de Bellagio a constitué une nouvelle mise à jour en 1967. Quatre-vingt-onze pays ont entériné la convention, le protocole ou les deux, dont le Canada.

«Tout le monde pensait que ce flot de réfugiés serait temporaire, mais il n’a jamais cessé», observe la chercheuse. Elle précise que la majorité des réfugiés dans le monde n’émigrent pas au Canada. «Quelque 30 000 personnes arrivent ici sur près de 30 millions de gens qui frappent annuellement auxportes des autres pays.» En 2000, le HCR recensait 22,3 millions de réfugiés dans le monde, soit 1 personne sur 269 habitants.

Selon la définition initiale de l’organisme international, un réfugié est «toute personne craignant, avec raison, d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, qui a quitté le pays où elle réside habituellement et n’est pas désireuse d’y retourner ou en est incapable». Les demandeurs d’asile proviennent maintenant de plus en plus de pays en voie de développement. Leur désir de vivre ailleurs peut être notamment motivé par la famine, une guerre civile ou un conflit ethnique.

Le droit d’asile

Le droit d’asile est lié au statut de réfugié. Il remonte aux Égyptiens et aux Grecs. «C’est toutefois l’Église catholique qui en a fait une institution», remarque Mme Morin. Aux 5e et 6e siècles après Jésus-Christ, on accordait un répit à ceux qui voulaient éviter une vengeance ou qui désiraient que leur situation soit étudiée. Les lieux d’asile englobaient les églises, la résidence de l’évêque et un périmètre de 30 pas autour des lieux saints.

Au 13e siècle, le pape Jean XXII a exclu du principe du droit d’asile les juifs, les hérétiques et les Maures. Ayant peu à peu perdu de sa force, ce droit disparut du canon de l’Église catholique en 1983.

Son usage a cependant été renouvelé aux Pays-Bas et en France, où les réfugiés ont une nouvelle fois pu trouver asile dans les églises. Si les droits canadien et américain ne prévoient pas cette possibilité, un jeune Guatémaltèque d’origine s’est quand même réfugié dans un établissement religieux au Québec en décembre 1984. Plusieurs membres de communautés culturelles ont suivi son exemple au cours des dernières années, dont la famille Bourouisa, en octobre dernier.

Sous la pression de l’opinion publique, le ministre fédéral de la Citoyenneté et de l’Immigration, Denis Coderre, acceptait de revoir le cas de cette famille algérienne et par le fait même la situation de quelque 1000 autres Algériens qui devaient eux aussi quitter le pays. M. Coderre disait travailler, dans ce dossier, en collaboration avec le ministre québécois des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Rémy Trudel.

La collaboration avec le Québec est une intention louable, déclare Mme Morin. Mais elle précise qu’il ne faut pas se faire d’illusions. «Ottawa n’a jamais négocié avec les provinces. Le Québec est beaucoup plus énergique à ce titre, car Montréal reçoit de nombreux réfugiés. Il est plus déterminé puisqu’il essaie d’absorber beaucoup de francophones. Mais c’est quand même le fédéral qui a le dernier mot.» Même si ces 1000 Algériens seront vraisemblablement acceptés au pays, ceux qui suivront entreront au pays au compte-gouttes, croit Nathalie Morin.

Réfugiés et immigrants

C’est en 1976 qu’Ottawa adopte une première loi distinguant les réfugiés des immigrants, la loi C-24. «Dans les faits, le Canada a beaucoup tardé à se mettre à jour sur la question des réfugiés», indique la chercheuse. En 1987, la loi C-55 créait la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui relève cependant toujours de la Loi sur l’immigration. «À partir de ce moment, les réfugiés ont pu présenter leur demande, précise-t-elle. Auparavant, on enregistrait leur déposition sur une cassette, qui était écoutée par des commissaires pas n’étaient pas nécessairement formés en la matière.»

En 1999, le mot «sécurité» prend tout son sens, alors qu’un attentat contre l’aéroport de Los Angeles est évité de justesse en décembre et son présumé auteur, Ahmed Ressam, écroué. De ce fait, le personnel est maintenant plus nombreux aux frontières du Canada et de l’Alaska, tout autant qu’entre le Canada et les États-Unis. «Ce qu’il faut retenir, c’est que la législation canadienne s’est beaucoup refermée au fil des ans. Ottawa a toujours voulu accentuer la sécurité, malgré l’opposition des groupes communautaires et des groupes de défense des immigrants. Depuis le 11 septembre 2001, ces groupes sont moins entendus.»

Enfin, le projet de loi sur la citoyenneté, déposé le 1er novembre dernier, est la quatrième tentative du gouvernement Chrétien pour modifier la loi. «Les trois projets initiaux avaient été déposés avant les attentats de New York. La nouvelle loi fera en sorte que l’expulsion se fasse plus rapidement», signale Mme Morin.

Perspectives

Nathalie Morin demeure optimiste, tout en s’inquiétant des conditions des réfugiés. «Il y en a de plus en plus dans le monde, à cause des restrictions. Qui dit réfugiés dit conflits. À long terme, le Tribunal pénal international arrivera peut-être à freiner les ardeurs des dirigeants des pays totalitaires, mais je n’y crois pas tellement. Le travail du Tribunal constitue toutefois un pas dans la bonne direction. Des gens comme Augusto Pinochet et l’ex-président de la Yougoslavie, Slobodan Milosevic, n’étaient jamais poursuivis auparavant.»

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale






 
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