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Il faut reconnaître les aidants familiaux comme des partenaires du système de santé, s’assurer de leur consentement quant aux soins et au soutien d’un proche à domicile ainsi que de leur compétence, recommande un rapport de recherche que vient de publier Francine Ducharme. |
«Vite, il faut sortir le patient! L’ergothérapeute et la physiothérapeute n’ont pas eu le temps de finir leur évaluation que l’aidant se retrouve à la maison avec un patient en très grande perte d’autonomie. Et il ne sait pas trop quoi faire.»
Ce témoignage d’une intervenante, recueilli pour une recherche dirigée par Francine Ducharme, titulaire de la chaire Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille, rappelle une réalité connue. Le virage ambulatoire s’est fait en bonne partie sur le dos de la population, surtout des femmes, forcées de prendre soin d’un conjoint ou d’un parent âgés à la suite d’une hospitalisation.
Une étude du ministère de la Santé et des Services sociaux démontre d’ailleurs que c’est chez les 75 ans et plus que la diminution moyenne de séjour en milieu hospitalier a été la plus marquée. Bref, ceux qu’on appelle les aidants familiaux ou aidants naturels s’épuisent à courir après les services dans le labyrinthe du système de santé, doivent effectuer des tâches auxquelles ils ne sont pas préparés, et ce, sans qu’on leur en donne le choix.
Néanmoins, cette étude sur les perceptions et les attentes relatives aux services destinés aux aidants familiaux de personnes âgées dans le contexte du virage ambulatoire vient enfoncer le clou. Menée en partenariat avec des organismes du secteur communautaire et du réseau de la santé et des services sociaux, elle ne fait pas que dénoncer les ratés du virage ambulatoire, mais formule aussi des recommandations pour les corriger.
Libre consentement
Ces recommandations émergent de l’analyse des témoignages de 80 personnes rencontrées en groupe ou individuellement: des aidants, des membres de groupes communautaires, une trentaine de personnes issues des CLSC (infirmières, travailleuses sociales, auxiliaires familiales, organisatrices communautaires et ergothérapeutes) ainsi qu’une vingtaine de gestionnaires et de planificateurs du réseau de la santé. Les trois premiers groupes étaient composés presque exclusivement de femmes tandis que les gestionnaires sont majoritairement des hommes. Plus de la moitié des travailleurs communautaires, des intervenants de CLSC et des gestionnaires étaient eux-mêmes des aidants dans leur vie personnelle.
Premier constat qui fait presque consensus: la prise en charge d’un proche après une hospitalisation est imposée aux familles et se fait sans prendre en considération les capacités, la disponibilité et le choix des personnes aidantes.
«On considère qu’en dépit de son travail à plein temps une fille va s’occuper de son vieux père, constate Francine Ducharme. Ou encore on ne tient pas compte du fait qu’une personne n’a pas la préparation nécessaire pour prendre soin de son conjoint en perte d’autonomie. On leur dit: ‘‘Ça va bien aller, le CLSC va vous aider.” Mais bien souvent, les budgets n’ont pas suivi et les CLSC n’ont pas les ressources pour assurer le maintien à domicile.»
Évaluer la compétence
«Il faut aussi évaluer la compétence, les habiletés et les limites de la personne aidante», affirme Mme Ducharme. En tant que professeure à la Faculté des sciences infirmières, elle trouve aberrant qu’on exige des aidants qu’ils prodiguent des soins complexes à domicile tels que faire des pansements stériles et des injections ou encore qu’ils installent des sacs de colostomie. On considère en effet que des études universitaires sont maintenant requises pour accomplir ces gestes professionnels de façon sécuritaire et en tenant compte de l’environnement.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux doit donc reconnaître les aidants comme des partenaires du système, s’assurer de leur consentement libre et éclairé quant aux soins et au soutien d’un proche à domicile ainsi que de leur compétence, recommande le rapport.
Il faut se garder de rejeter en bloc le virage ambulatoire, prévient la chercheuse. «Certains aidants sont excellents et veulent s’occuper de leur conjoint ou de leur parent, mais il ne faut pas en faire une norme générale. Il faut aussi offrir aux aidants un soutien accru pour les soins. Ce soutien est quand même moins coûteux que le maintien du patient à l’hôpital.»
Tous les participants de l’étude s’accordent d’ailleurs pour affirmer que les CLSC ont des ressources budgétaires insuffisantes pour assumer les responsabilités qui leur ont été dévolues au moment du virage ambulatoire. À l’exception des gestionnaires, on note que la gratuité des services est en péril et que certains coûts, autrefois supportés par le système de santé, par exemple ceux du matériel pour les soins, ont été transférés aux familles. Il existe même un peu de confusion puisque certains CLSC fournissent le matériel, d’autres non, observe Mme Ducharme. Le rapport demande donc une augmentation du financement consacré au soutien à domicile et aux groupes communautaires qui travaillent dans ce secteur.
Un intervenant pivot
Il ne s’agit même pas d’ajouter des ressources mais de les répartir différemment dans le système de soins, affirme Francine Ducharme. «C’est simplement une question d’éviter les complications. Ce n’est pas une économie que de renvoyer un malade à la maison pour le voir revenir quatre fois à l’urgence.»
Or, les participants de l’étude notent que la situation actuelle favorise non seulement l’épuisement des aidants, mais aussi l’augmentation du nombre de demandes d’hébergement et le retour rapide à l’hôpital des malades âgés. C’est pourquoi on recommande la mise en place d’un réseau de services intégrés pour les personnes âgées et leurs aidants afin d’améliorer la coordination et la continuité des soins. Cette coordination devrait être assurée par un gestionnaire de cas sous la responsabilité du CLSC.
Le projet SIPA a fait la démonstration que des services intégrés pour les gens âgés n’étaient pas plus coûteux mais plus efficaces, note Francine Ducharme. «Il est donc essentiel d’avoir un intervenant pivot, un gestionnaire de cas qui négocie tous les services pour le malade et sa famille, de la popote roulante à l’hôpital en passant par les visites médicales et les examens et auquel la personne aidante peut s’adresser en tout temps.»
Cette recherche a été réalisée en partenariat avec le Regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, l’Association des CLSC et CHSLD du Québec, l’Association des hôpitaux du Québec et la Direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière; elle a été subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. La Chaire de recherche Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille a été créée par l’Université de Montréal en partenariat avec l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Françoise Lachance