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Le sommeil des grands brûlés est caractérisé par de nombreux réveils, peu de repos récupérateur et des cauchemars fréquents, observe Isabelle Raymond. |
Les victimes de brûlures sévères souffrent tellement que la douleur peut perturber leur sommeil et hanter leurs rêves. «Le simple fait de respirer peut faire mal», affirme Isabelle Raymond, étudiante au doctorat au Département d’anesthésiologie de la Faculté de médecine.
La chercheuse, qui étudie l’effet du sommeil sur l’intensité de la douleur chez les grands brûlés, rapporte l’exemple d’un patient qu’elle a interviewé pour les besoins de ses travaux. «L’homme anticipait le lavage de ses plaies et le changement de pansements au point qu’il se voyait dans son cauchemar comme un thermomètre. Il devenait tout rouge tant la douleur lui était insupportable.»
On ne sait toujours pas pourquoi on rêve, mais des études ont démontré que le manque de sommeil entrave la guérison des tissus. Mieux on dort, plus on récupère vite. Le hic, c’est que le sommeil des grands brûlés est caractérisé par de nombreux réveils, peu de repos récupérateur et des cauchemars fréquents. «Rien pour les aider à guérir», déplore la jeune femme de 27 ans.
Plusieurs recherches sur les effets du manque de sommeil ont également signalé que la privation de sommeil pouvait influer sur la perception de la douleur. «Un lien étroit existe entre le sommeil et la douleur des victimes de brûlures, dit-elle. Moins bonne est la qualité de leur sommeil, plus ils sont sensibles à la douleur.» Les malades sont ainsi pris dans un cercle vicieux: leur douleur les empêche de bien dormir et leur manque de sommeil nuit à leur guérison.
Des cauchemars bénéfiques
Dans la revue scientifique Sleep, Isabelle Raymond publie une étude récente effectuée auprès de 28 patients âgés de 17 à 50 ans et traités au Centre des grands brûlés de l’Hôtel-Dieu. Les données, recueillies au cours de la première semaine d’hospitalisation de chaque patient, révèlent que ceux dont les rêves sont empreints de douleur dorment moins bien que ceux dont les songes en sont exempts. Les patients rapportent également une plus grande intensité de la douleur et davantage de cauchemars. Un problème que la chercheuse craint de voir évoluer en un cycle douleur-anxiété-insomnie qu’elle qualifie d’infernal.
Elle suggère qu’un meilleur contrôle de la douleur ressentie la nuit pourrait améliorer la qualité du sommeil et diminuer l’intensité des douleurs diurnes. À son avis, plus d’attention devrait être portée à l’administration de doses d’opiacés ou de morphine durant la nuit puisqu’on observe à ce moment-là une intensité de la douleur plus élevée comparativement à celle ressentie dans la journée.
Par ailleurs, la chercheuse a remarqué que, lorsqu’un grand brûlé fait des cauchemars, l’intensité de sa douleur est plus faible le lendemain. Un paradoxe qui pourrait s’expliquer ainsi: «Comme les cauchemars proviennent de longues périodes ininterrompues de sommeil paradoxal, il se peut que leur présence soit le résultat indirect d’un rebond de sommeil paradoxal, d’une consolidation de cette phase de sommeil ou même d’une consolidation plus générale du sommeil, tous des indicateurs d’un meilleur repos.» Autrement dit, si les patients dorment assez longtemps pour avoir des cauchemars, ils bénéficient du même coup d’un sommeil plus réparateur.
Mais il existe une autre explication: les cauchemars ont une fonction adaptative liée aux mécanismes de la douleur, souligne-t-elle. «Le professeur Toré Nielsen, directeur du laboratoire des rêves et cauchemars au Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques de l’Hôpital du Sacré-Cœur, a d’ailleurs déjà attribué aux rêves un rôle de désensibilisation, notamment en ce qui concerne les émotions fortes. Il est donc possible que les cauchemars représentent une forme plus intense d’une telle désensibilisation.»
Ouille!
Expérience éminemment personnelle, la douleur ne peut pas être observée au microscope. Seule la personne qui la ressent peut réellement l’évaluer. «Les victimes de brûlures la décrivent comme une des pires douleurs jamais éprouvées», affirme Isabelle Raymond.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la sévérité des blessures ne permet pas de prédire l’intensité de la douleur. «Les brûlures du deuxième degré superficiel sont généralement reconnues pour être les plus douloureuses parce que les terminaisons nerveuses sont exposées à l’air libre. Il en est de même pour les régions cutanées où sont effectués les prélèvements en vue des greffes. Les brûlures du troisième degré n’entraînent habituellement pas de douleur au début puisque les terminaisons nerveuses sont détruites. Mais elles sont souvent accompagnées de brûlures plus superficielles qui sont elles-mêmes douloureuses. Elles exigent par ailleurs une hospitalisation plus longue.»
On compte sur les doigts d’une main les études menées sur les perturbations du sommeil chez les victimes de brûlures. C’est pourquoi les travaux d’Isabelle Raymond, dirigés par Manon Choinière, professeure à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre des grands brûlés de l’Hôtel-Dieu, s’avèrent si précieux.
Dominique Nancy