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Les Drs Marc-Jacques Dubois et Nicolas Bergeron. |
Dans les urgences et les unités de soins intensifs, les patients en état de délirium présentent davantage de complications et la durée de leur séjour hospitalier est accrue. Il faut donc prévenir le plus possible cette condition.
Deux médecins du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), les Drs Marc-Jacques Dubois et Nicolas Bergeron, en collaboration avec la Dre Yoanna Skrobik, de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, viennent de mettre au point une méthode simple et efficace pour en reconnaître rapidement les symptômes.
En moins de trois minutes, l’échelle permet d’évaluer le niveau de conscience du patient, l’organisation et la cohérence de sa pensée ainsi que son activité motrice.
«Le délirium est une condition que nous observons très fréquemment dans un hôpital, explique le Dr Dubois, intensiviste rattaché à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Moi, j’en vois presque tous les jours. Si nous parvenons à déceler cet état rapidement chez un patient, nous améliorons ses chances de guérison, voire de survie.»
Très différent du délire, qui se caractérise par une fausse croyance, inébranlable, basée sur une inférence incorrecte de la réalité extérieure (et qui est observé à l’occasion chez les adultes aux prises avec des problèmes de santé mentale), le délirium témoigne d’une souffrance cérébrale qui se manifeste par un état confusionnel temporaire, précise le Dr Bergeron, clinicien à l’Hôtel-Dieu de Montréal au service de psychiatrie médicale. De plus, on peut noter des hallucinations, des illusions, une désorientation sévère et de l’agitation.
Naguère nommé «psychose des soins intensifs», le délirium est souvent observé chez les enfants et les personnes âgées, ainsi que chez les malades fortement médicamentés. Le mot «delirium», dit l’Encyclopédie médicale de la famille, est un «terme latin utilisé en anglais et auquel la francophonie semble opposer une résistance particulière». C’est pourtant une appellation appropriée, précise-t-on, car ce mal est défini par une atteinte des fonctions cognitives.
Ce syndrome n’est pas immédiatement mortel, précise le Dr Dubois, mais il est associé à un taux de morbidité élevé. Selon certains spécialistes, lorsqu’il apparaît, il est souvent trop tard. Alors que par le passé on considérait ce phénomène comme inévitable chez certains patients admis aux soins intensifs, l’équipe de soins croit aujourd’hui qu’il peut frapper à tout moment chez n’importe qui. Cette condition, qui dure de quelques heures à plusieurs jours, peut amener le patient à arracher les sondes et tubes qui l’indisposent. Reliés au respirateur artificiel, ceux-ci sont très souvent vitaux. Aux soins intensifs, de 6 à 7 personnes sur 10 sont intubées.
Une collaboration inusitée
Le personnel infirmier et médical n’a pas toujours la capacité d’évaluer les premiers signes du syndrome chez des patients en état de choc. C’est pourquoi il fait appel à des psychiatres comme le Dr Bergeron qui peut, grâce à sa formation, faire la différence entre l’état délirant, le délirium et la confusion sans gravité. La méthode mise au point par les deux médecins peut être employée à chaque quart de travail par une infirmière ou un médecin.
C’est au cours d’échanges au sujet du délirium que la collaboration entre les Drs Dubois et Bergeron a pris naissance. Ils ont publié avec la Dre Skrobik des articles dans la revue de soins intensifs Intensive Care Medicine sur cette échelle de dépistage et sur les facteurs de risque du délirium. Ils ont révélé, entre autres, que les opiacés (comme la morphine), l’usage du tabac et l’hypertension avaient un lien avec l’apparition du syndrome. La morbidité, parmi les 216 patients étudiés dans une recherche publiée en 2001, était significativement plus élevée chez les patients en état de délirium. Les gestes pour arracher les cathéters et les tubes étaient les plus couramment observés.
Selon les deux chercheurs, le corps médical est de plus en plus conscient des effets du délirium. Certains praticiens diminuent le recours aux opiacés par exemple. «Autrefois, les patients étaient fortement médicamentés lorsqu’ils pénétraient dans une unité de soins intensifs, relate le Dr Bergeron. Lorsqu’un patient était immobilisé par l’effet des analgésiques, c’était bon signe. Aujourd’hui, on considère qu’il ne faut pas en abuser. Un patient qui bouge dans son lit, c’est correct. On préfère qu’il redevienne alerte plus rapidement.»
Une méthode efficace
Dans leur intervention clinique, les médecins appliquent la grille d’observation qu’ils ont conçue et envisagent de l’introduire dans toutes les unités de soins intensifs du CHUM. Le centre hospitalier, qui élabore actuellement un protocole d’administration des sédatifs et des analgésiques, pourrait être ouvert à l’application de l’outil des deux médecins. Les anxiolytiques et benzodiazépines, qui sont moins déliriogéniques que les analgésiques à base d’opiacés, pourraient être plus judicieusement utilisés. De plus, «si l’on reconnaît le délirium rapidement, on peut chercher la cause du problème et offrir un traitement plus vite», résume le Dr Dubois.
Le syndrome a un effet sur le personnel infirmier, qui n’est pas très à l’aise avec les patients en état de délirium. «Cette condition est très anxiogène pour le personnel infirmier. Les formations sur le délirium sont donc toujours très appréciées», fait remarquer Nicolas Bergeron.
Les Drs Dubois et Bergeron, qui ont étudié ensemble la médecine jusqu’à l’obtention de leur diplôme, en 1994, sont fiers de leur collaboration plutôt inusitée. En effet, on ne voit pas souvent des travaux cosignés par des psychiatres et des intensivistes.
Les chercheurs n’ont pas l’intention d’en rester là. Parmi leurs projets figurent le suivi à long terme des patients ayant connu un épisode de délirium (leur taux de mortalité, pense-t-on, serait supérieur à la moyenne) et la désignation des sous-populations à risque. Par exemple, les gros fumeurs seraient possiblement plus à risque de souffrir de délirium.
Mathieu-Robert Sauvé