Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  Les piétons moins prudents au Québec qu’en Ontario
Le virage à droite au feu rouge pourrait modifier les habitudes de coexistence des piétons et des automobilistes.

 

L’étude dirigée par le professeur Jean-Pierre Thouez a observé, entre autres, le comportement des piétons à six intersections de la ville de Montréal. Contrairement à Toronto, c’est le piéton qui prend l’initiative d’éviter un accident à Montréal. 

Une étude récente du Centre de recherche sur les transports (CRT) montre que les piétons du Québec commettent, de façon générale, plus de gestes imprudents que leurs vis-à-vis ontariens, et ce, quelle que soit la taille de la ville.

Il s’agit de la première étude comparative jamais effectuée sur ce sujet au pays. «On dit souvent que les Ontariens sont plus prudents que les Québécois, mais on n’avait aucune donnée scientifique pour étayer ou réfuter cette affirmation», souligne Jacques Bergeron, professeur au Département de psychologie et l’un des principaux collaborateurs de cette recherche.

Dirigée par le professeur Jean-Pierre Thouez, du Département de géographie, l’étude a été commandée par la Société de l’assurance automobile du Québec bien avant qu’éclate la controverse sur le virage à droite au feu rouge.

Les chercheurs ont comparé les comportements des piétons et des automobilistes — pris séparément et en interaction — de trois villes de chacune des deux provinces, soit Montréal et Toronto, Hull et Ottawa, Saint-Hyacinthe et Kingston.

Priorité à l’automobile ou au piéton?

Uniquement à Montréal et Toronto, pas moins de 16 531 observations ont été analysées. Sur cinq des six variables notées, le piéton montréalais s’est montré moins prudent que le piéton torontois. À titre d’exemple, 90 % des Torontois attendent sur le trottoir le moment de traverser la rue, contre 53 % des Montréalais; 86 % des Torontois utilisent la zone zébrée pour traverser, contre 65 % des Montréalais; et 91 % des Torontois respectent les feux de signalisation, contre 76 % des Montréalais (voir aussi l’encadré page suivante).

Par contre, dans les situations d’interaction entre piétons et automobilistes, les piétons accordent plus souvent la priorité à l’automobile à Montréal (72,5 %) qu’à Toronto (51 %). Il en résulte que les gestes pour éviter un accident sont plus souvent faits par le piéton à Montréal et plus souvent par l’automobiliste à Toronto. Sur ce point, la situation est en fait diamétralement opposée dans les deux villes: à Montréal, 63 % des manœuvres d’évitement sont effectuées par le piéton et 37 % par l’automobiliste, alors qu’à Toronto les mêmes gestes préventifs sont accomplis par 71 % des automobilistes et 29 % des piétons.

Les observations dans les autres villes ont montré les mêmes tendances générales: partout le piéton québécois est apparu moins prudent que le piéton ontarien.
Les chercheurs ont également noté que les piétons des deux provinces commettent plus de violations aux règlements lorsqu’ils ont eu une interaction (observée par un mouvement de tête) avec l’automobiliste. Autrement dit, avant de faire une imprudence, le piéton prend ses précautions!

Habitudes et VDFR

Malgré l’imprudence des Québécois, il n’y a toutefois pas plus d’accidents mortels ni d’accidents avec blessés graves à Montréal qu’à Toronto, a remarqué Jacques Bergeron.

«L’étude montre que, dans les deux villes, piétons et automobilistes se sont habitués à vivre ensemble en adoptant des habitudes différentes, les piétons de Montréal prenant plus l’initiative d’éviter l’accident que ceux de Toronto», fait-il valoir.

Ces habitudes différentes ne sont pas attribuées à l’environnement urbain puisqu’il est similaire dans les deux villes. On pourrait penser que l’automobiliste montréalais est plus porté à considérer que la rue lui appartient, mais le psychologue demeure prudent quant à l’interprétation des résultats et préfère continuer à amasser d’autres données.

 

Jacques Bergeron 

Les deux chercheurs se questionnent par ailleurs sur l’effet que pourra avoir le virage à droite au feu rouge (VDFR) sur les habitudes de coexistence des piétons et des automobilistes. «Le VDFR va modifier ces habitudes et il faudra des campagnes d’éducation et de sensibilisation aussi fortes et crédibles que celles qui ont permis d’abaisser le taux de conduite en état d’ébriété ou de hausser le port de la ceinture», affirme Jacques Bergeron.

Son collègue Jean-Pierre Thouez est plus sévère à l’égard de la mesure proposée. «Les règlements devront être appliqués de façon aussi stricte qu’en Ontario», déclare-t-il, mais il souligne que l’opération VDFR est empreinte d’amateurisme politique. «À Longueuil, dit-il, il serait interdit, selon les normes de sécurité, de tourner à droite dans 8 cas sur 10! Le gouvernement propose aussi d’interdire le VDFR au centre-ville de Montréal alors que c’est précisément là que le virage serait le moins dangereux en raison de la vitesse réduite et du nombre élevé de piétons.»
Outre des campagnes de sensibilisation, le rapport recommande de mener différentes études sur les effets d’aménagements physiques comme l’installation de feux clignotants, la présence d’un terre-plein entre deux voies ou encore la délimitation de zones zébrées pour le passage des piétons.

Daniel Baril


Période noire: le vendredi entre 15 h et 18 h

L’ensemble des observations recueillies dans les six villes de l’étude du CRT montre que la fréquence des accidents impliquant des piétons est plus élevée en automne. Pour le jour de la semaine, c’est le vendredi qui arrive en tête de liste, alors que la période la plus dangereuse de la journée est comprise entre 15 h et 18 h. Viennent en second lieu l’hiver, le jeudi et la plage horaire de 12 h à 15 h.
Les chercheurs ont par ailleurs été étonnés de constater que les plus hautes fréquences d’accidents surviennent à la clarté, sur des rues planes et droites et lorsque la chaussée est sèche.
Les conducteurs impliqués, comme les victimes, sont principalement des hommes âgés de 15 à 24 ans et de plus de 65 ans.
 







 
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