Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  Éloge de la mauvaise humeur
Rechercher la bonne humeur «à tout prix» est le péril de l’homme du 21e siècle, selon Maxime Prévost.

 

Après des études doctorales, Maxime Prévost a entrepris un postdoctorat au Département d’études françaises. Il a publié des articles dans Discours social, Littératures, Neophilologus, Nineteenth-Century French Studies et Studi Francesi. Rictus romantiques est son premier livre. 

«Le meurt-de-faim rit, le mendiant rit, le forçat rit, la prostituée rit, l’orphelin, pour mieux gagner sa vie, rit, l’esclave rit, le soldat rit, le peuple rit; la société humaine est faite de telle façon que toutes les perditions, toutes les indigences, toutes les catastrophes, toutes les fièvres, tous les ulcères, toutes les agonies, se résolvent au-dessus du gouffre en une épouvantable grimace de joie.»

Pour Maxime Prévost, qui vient de terminer un postdoctorat au Département d’études françaises, cet extrait du roman de Victor Hugo, L’homme qui rit, témoigne de la suspicion de l’écrivain à l’égard du rire et de la gaieté. «Pour Victor Hugo, comme pour ses contemporains européens, la joie était mal à propos, dit-il. En fait, le monde actuel, friand de fêtes et de festivals, représente le pire scénario qu’avait envisagé Hugo.»

C’est qu’à notre époque la détresse ou le malheur sont pour ainsi dire hors la loi. «Nous n’avons plus le choix; nous avons le devoir d’être heureux», déclare Maxime Prévost. Et le moins drôle dans tout cela, c’est qu’à force de rechercher à tout prix le bonheur l’homme court à sa perte.

Certes, le rire et l’humour sont propres à l’être humain, mais celui-ci est surtout fait d’humeurs et ne peut pas être jovial 365 jours par an. «Les gens ont d’excellentes raisons d’être tristes ou fâchés; ils peuvent avoir perdu un être cher, ne pas se sentir aimés ou encore manquer d’argent. Ce n’est pas nécessairement pathologique.»

Pourtant, dès qu’ils se sentent un peu déprimés, plusieurs consultent un psychiatre ou un psychologue qui, bien souvent, s’empresse de prescrire des antidépresseurs. «Comme si le vague à l’âme était une maladie», déplore le chercheur, qui a consacré son premier essai littéraire aux politiques du rire chez Victor Hugo. En réaction contre ce qu’il appelle «la dictature de l’allégresse», l’ouvrage s’achève sur un «éloge de la mauvaise humeur».

Paru au printemps dernier aux Presses de l’Université de Montréal, Rictus romantiques, qui tire son origine de la thèse de doctorat de Maxime Prévost, fait partie de la collection Socius, que dirige le professeur Benoît Melançon, du Département d’études françaises.

Voyage dans l’œuvre d’Hugo

Par sa démarche qui consiste à répertorier les manifestations du rire dans différentes œuvres de Victor Hugo et à établir des liens avec d’autres auteurs, par exemple Charles Dickens, Maxime Prévost dégage une thématique générale du rire qui permet de cerner l’horizon sociolittéraire de l’époque.

Son étude se divise en trois parties: la première période est celle du jeune homme qui perce dans l’univers des belles-lettres (Han d’Islande, Notre-Dame de Paris et Le roi s’amuse); ensuite est abordée la période intermédiaire, pendant laquelle Hugo, devenu académicien, écrit Les misérables; et l’essai se termine avec la période de l’exil (La fin de Satan, William Shakespeare, L’homme qui rit). Ce voyage dans l’œuvre d’Hugo nous fait rencontrer divers personnages et types de rire, dont celui des méchants, que l’auteur nomme la «gaieté perverse», et le «rire de force» des victimes, du peuple.

Plus les gens se trouvent dans des positions soumises et précaires, socialement et économiquement, plus Hugo les représente riant et de bonne humeur. «De nos jours, on observe encore ce phénomène du rire de force, fait remarquer Maxime Prévost. Par exemple, le commis du dépanneur est forcé de nous dire, sourire aux lèvres, “Bonjour, un p’tit 6/49 avec ça?”»

L’essai de Maxime Prévost offre une analyse historique et philosophique du rire et du pouvoir. C’est un ouvrage de réflexion sur la condition humaine qui permet de mieux comprendre notre monde actuel. Au centre de cette réflexion, «l’aliénation toute moderne de la glorification du bonheur», comme le dit lui-même l’auteur. À son avis, la lecture des romantiques constitue un remède salutaire à cette euphorie perpétuelle. Maxime Prévost force-t-il la note? «Aux grands maux les grands remèdes», affirme-t-il avec un sourire franc.

Rire pour oublier

Maxime Prévost possède cette faculté d’être sérieux sans se prendre au sérieux. «Au quotidien, je ne suis pas socialement de nature très sympathique», admet-il. Mais il possède un bon sens de l’humour. Un humour noir. Résultat: il peut dire des horreurs avec flegme et décontraction. Au cours de la rencontre avec Forum, il en a fait la démonstration: «Tout ce que je décris s’applique au Québec plus que partout ailleurs dans le monde. On y rit pour rire, bien sûr, mais surtout pour montrer sa bonne foi.»

Mais pourquoi les Québécois aiment-ils autant rire? Réaction spontanée d’un peuple colonisé? Pas seulement. «L’humour permet à des millions d’individus de préserver leur identité; la blague faisant office de reconnaissance, elle permet de nous distinguer des anglophones, que nous percevons flegmatiques, ennuyeux et traditionnels.»

Peut-être aussi tout simplement parce que se dilater la rate, comme le dit Hugo, procure l’oubli et nous aide à mieux affronter le quotidien…

Dominique Nancy



 
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