Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  Un mal de chien
La douleur compromet le bien-être et la guérison de l’animal, selon le vétérinaire Éric Troncy.

 

«Une douleur qui n’est pas soulagée accentue le stress de l’animal, ce qui a pour conséquence de bouleverser son système hormonal et ses circuits nerveux, et, par le fait même, interfère avec la guérison», explique le vétérinaire Éric Troncy. 

Les animaux souffrent. Après une chirurgie, par exemple, leur douleur se manifeste par une forte agitation, une vocalisation accrue, une augmentation de la fréquence respiratoire, un rythme cardiaque rapide et souvent une grande sensibilité de la plaie.

«Si la douleur n’est pas soulagée, tout un processus interférera avec la guérison de l’animal», affirme Éric Troncy, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire.

Le Dr Troncy consacre sa carrière à la prévention de la douleur animale. Quand il ne s’occupe pas des anesthésies d’un chien souffrant d’une hernie discale ou d’un chat avec un cancer à l’estomac de la Clinique des petits animaux, il donne des conférences sur le sujet. Il y rappelle sans cesse la nécessité d’administrer des analgésiques avant une opération. C’est que la tolérance à la douleur chez l’animal est fortement modifiée en situation de stress, de maladies ou à la suite d’une chirurgie, souligne le vétérinaire. En fait, les effets de la douleur sont souvent catastrophiques sur le rétablissement des bêtes.

À une certaine époque, rappelle-t-il, on doutait que les animaux puissent éprouver des douleurs puisqu’ils étaient dépourvus d’âme et ne pouvaient pas exprimer leur pensée. Il n’y a pas si longtemps que les mentalités ont évolué. Jusqu’en 1995, en France, on montrait encore des réticences à administrer des analgésiques. Les vétérinaires donnaient simplement des relaxants musculaires pour éviter que les animaux bougent.

Selon le Dr Troncy, le Québec fait figure de pionnier dans le milieu francophone pour le soulagement de la douleur chez les animaux. «Particulièrement à la Faculté de médecine vétérinaire, où la lutte contre la douleur est une évidence collective quotidienne.» Mais voilà à peine 20 ans, ici comme partout ailleurs dans le monde, de jeunes animaux et des nouveau-nés étaient opérés sans analgésiques. La croyance voulant que leur système nerveux ne soit pas suffisamment développé pour qu’ils ressentent de la douleur était encore répandue.

«On sait aujourd’hui que tous les mammifères ainsi que les oiseaux, les poissons, les grenouilles et même les mollusques peuvent, sans distinction d’âge, éprouver de la douleur», déclare le Dr Troncy.

Embauché il y a un an comme professeur d’anesthésiologie par le Département de sciences cliniques, le vétérinaire d’origine française a fait de la douleur animale son thème de prédilection au sein de l’Association vétérinaire pour l’anesthésie et l’analgésie animales, dont il est un des fondateurs. Sous l’impulsion de l’Association et grâce à toute l’équipe qui travaille à la Faculté, les techniques d’anesthésie et d’analgésie évoluent considérablement en chirurgie vétérinaire. La douleur animale est de mieux en mieux prise en compte.

Les animaux supportent mieux la douleur

Un sondage effectué en 2001 par l’Académie de médecine vétérinaire du Québec révèle que la prévention de la douleur postopératoire préoccupe de plus en plus les médecins des animaux. À la question «Prescrivez-vous une analgésie obligatoire à vos patients à la suite des interventions suivantes?» la réponse est positive dans 1 % des cas seulement pour la castration féline, 7 % pour la castration canine, 6,6 % pour l’ovario-hystérectomie féline et 12 % pour son pendant canin. La réponse est cependant affirmative à 60 % dans les cas d’ablation des griffes et à 85,2 % après une chirurgie orthopédique.

Des douleurs inutiles, selon Éric Troncy. «Mieux vaut recourir à des anesthésiques pour des interventions qui ne provoquent pas de véritable douleur que de laisser l’animal souffrir pour rien.» Le rôle du vétérinaire, signale-t-il, est d’améliorer le bien-être animal. Outre les attentes grandissantes de la part des propriétaires d’animaux, il faut, pour des raisons éthiques et médicales, tout mettre en œuvre pour éviter, ou mieux prévenir, la souffrance des bêtes.

Définie par l’Association internationale pour l’étude de la douleur comme une «expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle», la douleur fait appel à des processus cognitifs. Elle est donc subjective. S’il existe chez l’être humain des variations considérables de la sensibilité à la douleur entre les individus, il en est de même chez les animaux, chez qui on observe également des variations entre les espèces.

«Contrairement aux humains, la plupart des animaux sont en général plus tolérants et silencieux face à la douleur. Du point de vue de leur survie, ils ont tout intérêt à ne pas attirer l’attention des prédateurs, mentionne l’anesthésiologiste. D’ailleurs, on est parvenu à relativement bien corréler les expressions douloureuses avec les réactions instinctives des diverses espèces animales.» Mais il n’y a pas de raison anatomique ou physiologique prouvée que l’animal soit moins sensible à la douleur. D’autant plus que les mécanismes neurologiques de transmission des stimulus nociceptifs sont similaires chez l’être humain et les mammifères.

Raisons éthiques et médicales

Le problème de l’évaluation de la douleur est délicat chez les animaux, puisqu’ils n’ont pas les moyens de la qualifier. «L’observation de signes cliniques comme la dilatation des pupilles, l’augmentation du rythme cardiaque et respiratoire indique généralement la présence de douleurs», constate le professeur Troncy.

Certains comportements sont symptomatiques. Un animal qui souffre a tendance à s’isoler ou à se cacher. Il halète aussi fortement. Certains peuvent gronder lorsqu’ils sont manipulés, tandis que d’autres geignent et tentent de s’échapper. Ils peuvent être réticents à bouger et, fréquemment, ils perdent l’appétit et deviennent apathiques, voire léthargiques, et leur hygiène peut se dégrader, surtout chez les chats.

L’expertise du Dr Troncy est internationalement connue. Au cours des semaines qui ont précédé l’entrevue avec Forum, il a donné des conférences à Paris, Lyon et La Rochelle. Puis ce fut Lausanne et Cambridge. Récemment, l’auteur du livre Analgésie des carnivores domestiques (Éditions du Point vétérinaire) prononçait une autre conférence à Montréal devant une salle de 140 praticiens vétérinaires, techniciens en santé animale et étudiants. Cette même conférence sera présentée en mars dans l’Ouest canadien, puis dans un congrès international à Strasbourg, Zurich et Tunis.

Même si les réticences au soulagement de la douleur chez les animaux domestiques s’amenuisent, il reste encore beaucoup à accomplir, déplore-t-il. «Si nous avons fait un bon bout de chemin pour ce qui est de la douleur postopératoire, il reste les douleurs chroniques arthrosiques ou cancéreuses qui affectent chacune près de 15 millions de chats ou de chiens en Amérique du Nord et seule une minorité de ces animaux sont sous supervision vétérinaire. À cela s’ajoutent le secteur des grands animaux, tels les chevaux et les bovins, et des productions animales où la gestion de la douleur est associée aux contraintes économiques.»
Le reportage du cinéaste Hugo Latulippe, Bacon, en témoigne: on procède encore de nos jours, sans anesthésie et sans analgésiques, à la castration de porcelets.

Dominique Nancy






 
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