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Titulaire depuis 10 ans d’une chaire de recherche en pharmacologie, André de Léan consacre ses temps libres à l’astronomie. |
Lorsque Rachelle Léger a mis l’œil sur l’oculaire du télescope d’André de Léan, à une soirée où étaient invités les membres de la Société d’astronomie du Planétarium de Montréal (SAPM), elle en est restée bouche bée et les larmes lui sont venues aux yeux, comme elle en témoigne dans le bulletin Hyperespace. «Le détail des cratères, le velouté indescriptible des mers lunaires, tout ça se révélait à mes yeux pour la première fois», écrit-elle.
À l’évocation de cette anecdote, le professeur du Département de pharmacologie sourit. «Le partage de notre passion est la plus agréable rétribution des efforts que nous mettons à faire fonctionner un organisme comme le nôtre», dit-il. Et puis, rajoute-t-il, rien n’est banal dans le ciel. Pas même la Lune.
En plus de ses occupations d’universitaire, le professeur de Léan tient des réunions, participe à des activités sociales et organise, avec l’aide des bénévoles de la SAPM, des conférences, des soirées d’observation et des camps d’astronomie. Et même s’il possède de solides notions d’astrophysique, le chercheur de 56 ans ne répugne pas à expliquer la différence entre une planète et une étoile. «Tout ce qu’on demande aux gens qui veulent devenir membres de notre société, c’est de s’intéresser à l’Univers. Il n’y a aucun autre préalable», commente-t-il en riant.
Il existe une trentaine de regroupements d’astronomes amateurs au Québec. La SAPM est celui qui compte le plus grand nombre d’adhérents, soit environ 300. Certains se passionnent pour un amas d’étoiles particulier (le M44, par exemple, à l’intérieur du Cancer, ou les Pléiades, près du Taureau) et peuvent vous entretenir pendant trois heures de leurs caractéristiques. D’autres sont des béotiens. «Présenter des notions élémentaires est une obligation quand on s’occupe d’une société d’astronomie. C’est un aspect que j’aime bien. Peut-être en raison de mon côté professeur.»
Un chercheur de renom
Surnommé à l’occasion Tryphon Tournesol — de par une vague ressemblance physique avec le personnage de Hergé et un tempérament légèrement distrait —, André de Léan est aussi un savant de renom. «La méthode qu’il a mise au point pour étudier le mode d’action des hormones a eu un impact considérable en pharmacologie moléculaire, affirme son collègue Patrick du Souich, directeur du Département. Sans aucun doute, sa compétence est reconnue par ses pairs.»
L’article qui présentait cette méthode, publié dans un numéro de 1978 de l’American Journal of Physiology, est le deuxième article le plus cité de l’histoire centenaire de cette revue savante: plus de 2400 citations. André de Léan a aussi participé à une percée majeure à l’Institut de recherches cliniques de Montréal dans les années 80 sur les peptides actifs dans la pression artérielle. Ses travaux actuels portent d’ailleurs sur ce sujet.
Comme quelques autres professeurs du Département de pharmacologie (dont le Dr du Souich), le professeur de Léan est d’abord médecin. Mais il a depuis longtemps renoncé à la pratique pour concentrer exclusivement ses énergies sur la recherche et l’enseignement.
Au Département, le titulaire de la chaire Merck-Frosst Canada de pharmacologie est plutôt discret sur ses loisirs. Peu de gens savent par exemple qu’il préside la plus importante société d’astronomes amateurs du Québec. Mais le Dr du Souich reconnaît ses qualités humaines. «C’est un homme cultivé dans tous les sens, affirme-t-il. André peut vous parler d’art, de littérature, de bons vins et de bonne bouffe avec une compétence supérieure à la moyenne.»
Le choc de la comète
Comme la plupart des astronomes, André de Léan a connu son moment de grâce. Celui-ci s’est produit au moment de la collision de la comète Shoemaker-Levy avec Jupiter, le 16 juillet 1994. «J’étais allé chez un ami pour observer le phénomène et cela m’a bouleversé. Être témoin d’un phénomène de cette ampleur ne s’oublie pas. Jupiter est à la fois si loin et si près de nous… Ça m’a fait réfléchir sur notre petitesse dans l’Univers. J’ai immédiatement senti que l’astronomie prendrait une place grandissante dans ma vie.»
Le choc de la comète ayant eu un effet à long terme, il s’est acheté un télescope haut de gamme d’une valeur approximative de 7000 $. «C’est ce qu’on appelle un télescope newtonien. C’est Isaac Newton lui-même qui en a conçu le principe», explique-t-il en réglant les pièces au bénéfice du photographe de Forum.
L’achat d’un télescope est toujours un moment fort dans la vie d’un astronome. C’est l’étape qui fait la différence entre le néophyte et l’amateur sérieux. Au cours d’un «party d’étoiles» où les observateurs de la province se sont réunis le printemps dernier, on a pu voir tout un assortiment d’instruments de pointe. «Un astronome est toujours heureux de montrer son télescope, estime-t-il. Le mien n’est pas le plus imposant. Certains valent plus de 10 000 $. C’est cher mais pas autant qu’une motomarine.»
Les extraterrestres existent
Aussi loin qu’il se souvienne, André de Léan a toujours été intrigué par les étoiles. Durant son enfance, à Trois-Rivières, il manquait volontairement l’autobus scolaire pour revenir à pied chez lui, observant le ciel d’hiver s’obscurcir jusqu’à ce qu’apparaisse la voûte céleste.
Il n’en a cependant pas encore fait le tour. Sur les 109 objets célestes répertoriés dans le catalogue du Français Charles Messier (un chercheur du 18e siècle qui est le saint patron des astronomes amateurs), il en a aperçu 80. Quand il les aura tous observés, il pourra recommencer. Ou encore parcourir le ciel à la recherche d’autres objets. «Parce qu’ils sont nombreux et passionnés, les astronomes amateurs peuvent avoir un impact scientifique considérable, affirme-t-il. Les astrophysiciens professionnels sont trop occupés pour scruter le ciel comme le font les amateurs. Depuis les débuts de cette science, un grand nombre de découvertes leur sont dues.»
André de Léan considère que le ciel est une partie de la nature. Les astronomes sont donc des observateurs de la nature. Forcément, ils s’interrogent sur la cosmogenèse et les autres formes de vie. D’où vient-on, où va-t-on? Ces questions habitent les gens qui, sur des collines où règne la plus grande obscurité, participent à des soirées intensives d’observation. Là où même les lampes torches sont éteintes autour des télescopes de façon à garder l’iris sensible aux scintillements venus d’étoiles situées à des millions d’années-lumière, il peut s’écouler plusieurs heures de silence méditatif.
Alors, sommes-nous seuls dans l’Univers? «Je suis convaincu qu’une vie extraterrestre existe. Ce qui est moins sûr, c’est que des êtres soient venus nous voir avec leur soucoupe volante.»
Les conditions de vie sur Terre sont, bien entendu, assez exceptionnelles: une position assez distante d’une étoile pour n’être ni trop chaude ni trop froide notamment, ce qui permet une atmosphère contrôlée. Mais si l’on considère qu’il existe 100 millions d’étoiles dans une galaxie et qu’il existe des milliards de galaxies, les probabilités que la vie se soit développée ailleurs sont assez fortes. «Quant à la forme que peut prendre cette vie, votre imagination vaut la mienne», lance l’astronome avec espièglerie.
Mathieu-Robert Sauvé