Pour Michel Gérin (à gauche) et Claude Viau, plusieurs problèmes environnementaux menacent la santé publique. L’ouvrage qu’ils lancent ces jours-ci sur le sujet servira à la formation d’étudiants de part et d’autre de l’Atlantique.

«Un acide aminé peut rendre les fritures cancérigènes», titrait La Presse le 1^er octobre 2002; «Des moisissures dans 30 % des résidences», lançait Le Nouvelliste le 21 novembre; «Une cire toxique sur les fruits?» interrogeait La Tribune quelques semaines plus tôt. Décidément, les problèmes de santé liés à l’environnement font les manchettes.

Quand ce ne sont pas l’acrylamide dans les croustilles et la morpholine dans la cire appliquée sur les pommes qui auraient des propriétés cancérigènes, c’est le virus du Nil occidental ou les bactéries de l’eau potable qui inquiètent les responsables de la santé publique.

Michel Gérin, directeur du Département de santé environnementale et santé au travail de la Faculté de médecine et coordonnateur d’un ouvrage majeur sur la question qui paraît ces jours-ci au Québec et en France, estime que ces sujets sont appelés à être de plus en plus débattus dans l’avenir. Signe de cet intérêt grandissant, les inscriptions aux programmes d’études du Département ont augmenté de façon significative au cours des dernières années.

D’une quinzaine d’étudiants à la maîtrise dans les années 90 par exemple, on est passé à près d’une centaine en 2003. Cela dit, selon lui «nul ne peut prétendre connaître la santé environnementale, car c’est un champ d’expertise trop large pour être maîtrisé par une seule personne. Ce n’est pas pour rien que l’ouvrage que nous avons rédigé compte 125 collaborateurs.»

Environnement et santé publique, vendu depuis quelques jours en librairie, est le premier livre d’importance en français consacré à la santé environnementale. «Une contribution capitale», estime l’un des préfaciers, le directeur générale de la Santé de France, Lucien Abenhaim, qui salue cette initiative franco-québécoise. Le journaliste du Devoir Louis-Gilles Francœur a accueilli cet ouvrage par des éloges dans sa chronique du 14 février: «Une référence désormais incontournable», selon lui.

Ouf!

Le lancement de cet ouvrage de 1089 pages est l’aboutissement d’un travail de plus de sept années qui a pris des proportions insoupçonnées. Lorsque M. Gérin et Claude Viau, alors directeur du Département, ont obtenu du vice-rectorat à l’enseignement de premier cycle et à la formation continue une subvention de 11 000 $ pour la rédaction d’un manuel sur le sujet, ils avaient prévu un travail plus modeste. Mais des collègues de Québec, Pierre Gosselin et Éric Dewailly, leur ont suggéré de travailler de concert parce qu’ils caressaient eux aussi le projet de produire un manuel, relate M. Gérin. Par la suite, deux collaborateurs français, Sylviane Cordier et Philippe Quesnel, se sont joints à l’équipe. Le projet définitif compte 39 chapitres.

Lorsque le manuscrit a enfin été mis sous presse, au début de l’année 2003, Michel Gérin a poussé un grand soupir de soulagement. Son travail de coordination aura nécessité plus de 1600 courriels… Sans compter ceux qu’il n’a pas conservés. L’ouvrage a été divisé en trois parties: «L’environnement et la santé publique: deux mondes en mutation», «Principes et méthodes en santé environnementale» et «Effets nocifs pour la santé des polluants de l’environnement».

«La particularité de cet ouvrage est qu’il présente une vision interdisciplinaire de la santé environnementale, commente le professeur Viau. Nous ne nous sommes pas limités au secteur de la santé, loin de là. Des disciplines comme la démographie, la sociologie et même l’anthropologie ont été intégrées dans l’ensemble du travail de rédaction.»

Destiné aux étudiants et aux praticiens

C’est par la chimie que Claude Viau et Michel Gérin en sont venus à la santé environnementale, le premier par son expertise en toxicologie et le second par ses connaissances en chimie analytique (son doctorat portait sur la mesure des contaminants). Mais d’autres voies d’entrée sont possibles.

À l’Université de Montréal, les collaborateurs proviennent de huit départements: Santé environnementale et santé au travail (Gaétan Carrier, Robert Tardif, Joseph Zayed, Jean-Claude Panisset, Louise de Guire ainsi que MM. Gérin et Viau), Géographie (Pierre André, Claude Marois, Jean-Pierre Thouez), Anthropologie (Gilles Bibeau), Sociologie (Liliane Cotnoir, Jean-Guy Vaillancourt), Démographie (Victor Piché), Design industriel (Pierre de Koninck), Urbanisme (René Parenteau) et Médecine sociale et préventive (Pierre Fournier). Christophe Guy, de l’École Polytechnique, a aussi contribué à la rédaction d’un chapitre.

Destiné initialement aux étudiants (mais les praticiens auront tout avantage à le consulter), Environnement et santé publique trace le portrait d’une science interdisciplinaire relativement jeune. Le défi de la coédition franco-québécoise constitue une autre particularité. Mais comment évaluer la convergence des préoccupations en santé environnementale de part et d’autre de l’Atlantique? La mondialisation n’est pas qu’économique, répond le directeur du Département. Elle touche aussi les problèmes de santé, qu’on pense au virus du Nil occidental, transmis par les moustiques, ou à la contamination de nappes phréatiques par la bactérie E. coli.

Des problèmes plus locaux se manifestent également. «Alors que des hôpitaux montréalais étaient aux prises avec une épidémie de maladie du légionnaire l’an dernier, un hôpital français diagnostiquait les premiers cas de cette affection», relate Michel Gérin. Comme les règlements et les infrastructures de santé diffèrent d’un pays à l’autre, il importe d’échanger de l’information sur les meilleures méthodes pour mieux affronter des situations semblables.

Au Québec, la santé publique relève de centres locaux, ce qui est une bonne chose, car les services de première ligne peuvent réagir rapidement à des problèmes bien déterminés, estime le spécialiste. La création, il y a quelques années, d’un institut national de la santé publique est également selon lui une heureuse initiative.

La publication a bénéficié de subventions de plusieurs sources: le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le ministère de l’Écologie et du Développement durable de France, l’Université de Montréal, l’Institut de veille sanitaire (France), le Réseau de recherche en santé environnementale (Fonds de la recherche en santé du Québec) et le Centre de recherche pour le développement international du Canada.

Mathieu-Robert Sauvé

Michel Gérin et coll., Environnement et santé publique, Québec, Edisem; Paris, Éditions Tec & Doc, 2003, 1089 p., 74,50 $.