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Diane Éthier publiera sous peu le résultat d’une importante recherche dans la revue britannique Democratization. |
Au terme de trois années de recherche, Diane Éthier, professeure au Département de science politique, a constaté que les programmes de promotion de la démocratie fonctionnent mieux lorsqu’ils sont assortis de conditions.
La chercheuse a comparé les impacts de la stratégie conditionnelle de promotion de la démocratie dans le contexte de l’élargissement de l’Union européenne (UE) vers l’est — qui exigeait des 10 pays candidats qu’ils mènent à bien une série de réformes destinées à consolider leur système démocratique avant l’adhésion — avec les effets de la stratégie incitative des programmes de développement démocratique des agences d’aide de sept pays donateurs (Royaume-Uni, Danemark, Suède, France, Allemagne, Canada et États-Unis), qui accordent une aide sans condition aux pays en développement afin de les encourager à instaurer ou à renforcer la démocratie.
La conclusion de son étude est que la stratégie européenne a été efficace, huit pays candidats (République tchèque, Pologne, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Slovaquie et Slovénie) ayant entrepris les réformes demandées, alors que les programmes de promotion de la démocratie n’ont pas eu d’influence significative dans les pays d’Europe centrale, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie auxquels ils s’adressaient.
Depuis 1945, les gouvernements occidentaux et les organisations internationales ont utilisé diverses stratégies — le contrôle, les conditions et les mesures incitatives — pour promouvoir la démocratie. «Ces stratégies ont-elles eu une incidence sur les progrès de la démocratie? Telle est la question à laquelle j’ai voulu répondre», explique Mme Éthier, dont les travaux sont financés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). La spécialiste n’a pas étudié le «contrôle» — l’imposition de la démocratie par des forces d’occupation étrangères — car, s’il s’est avéré concluant dans plusieurs pays au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, il a par la suite été rejeté par le droit international en vertu du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États.
L’article que la politologue a écrit sur ces travaux, à paraître au printemps dans la revue britannique Democratization, conclut que l’approche de l’Union européenne est efficace parce que «plus les États sont interdépendants, plus ils sont portés à coopérer entre eux».
Rappelons que, le 12 décembre dernier, 10 pays ont officiellement été acceptés dans l’Europe unifiée, qui compte désormais 25 membres. Deux pays candidats ont vu leur adhésion reportée pour avoir failli à leurs obligations de se conformer aux exigences de l’Union européenne: la Bulgarie et la Roumanie. Or si, en moins de cinq ans, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie sont devenues des États démocratiques, c’est que ces pays ont été plus qu’encouragés à agir ainsi. Pour les admettre, l’Union européenne exigeait des changements clairs et mesurables et «les représentants de ces pays considéraient que leur intégration à l’Europe était cruciale, tant pour leur avenir que pour leur sécurité et leur prospérité économique. C’est pourquoi ils ont procédé à des réformes fondamentales, allant jusqu’à adopter une centaine de nouvelles lois en une seule année», note la spécialiste.
Ces réformes sont-elles assez solides pour durer? Mme Éthier n’en doute pas, car les États membres de l’Union européenne ont été très rigoureux au moment de l’adhésion des pays candidats et parce qu’une fois membres de l’Union européenne les pays de l’Europe centrale et orientale seront liés par les traités de l’Union, qui imposent à tous les États membres le respect des valeurs et des institutions démocratiques sous peine de sanctions.
Un concept bien défini
Quoi qu’on en dise, la démocratie n’est pas un concept vague. Elle répond à des critères qui font consensus en droit international, même si la façon de les appliquer diffère d’une culture à une autre. Toutefois, les gouvernements et les agences d’aide de pays donateurs demeurent réticents à appliquer des programmes conditionnels de promotion de la démocratie en raison, notamment, de l’opposition des pays receveurs, des impacts négatifs que de tels programmes pourraient avoir sur leurs relations économiques et commerciales avec ces pays et de leur scepticisme par rapport à l’efficacité d’une telle conditionnalité.
Ce n’est qu’en 1992 que le progrès de la démocratisation est devenu un objectif des organismes d’aide internationale. Le Canada, qui consacre désormais moins de 0,3 % de son revenu national brut à l’aide internationale, utilise une partie de celle-ci pour inciter les pays receveurs à améliorer le respect des droits de la personne, la bonne gouvernance et l’organisation des sociétés civiles.
La ZLEA
Selon Diane Éthier, «les États acceptent d’entreprendre les réformes démocratiques demandées par les acteurs internationaux lorsque cette exigence leur procure un avantage crucial qu’ils ne pourront obtenir s’ils n’obtempèrent pas, puisque les acteurs concernés accordent une grande importance à ces réformes. Or, dans l’état actuel des choses, seule l’Union européenne semble en mesure de répondre à ces conditions, d’une part parce qu’elle peut offrir un avantage sans contrepartie aux pays tiers: l’adhésion à l’UE, d’autre part parce que tous les États membres de l’UE ont un intérêt commun majeur à ce que les futurs adhérents à l’Union possèdent un régime démocratique conforme à leurs propres normes et valeurs.»
L’adhésion à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) n’est pas conditionnelle à l’implantation préalable de réformes destinées à stabiliser la démocratie parce qu’aucun groupe d’États ne peut imposer une telle condition aux autres États; en effet, l’objectif du processus n’est pas d’intégrer de nouveaux pays à un bloc régional dûment constitué, mais de négocier l’établissement d’une zone de libre-échange entre 34 pays dont le pouvoir décisionnel est théoriquement égal. Il est difficile d’imaginer que les participants dont la démocratie est très mal en point, comme le Pérou, la Colombie, la Bolivie, le Salvador ou le Guatemala, acceptent volontairement de conditionner leur adhésion à la ZLEA à la stabilisation ou à la consolidation de leur régime politique. Il est peu probable, estime Diane Éthier, que la clause démocratique de la ZLEA, qui a un caractère incitatif plutôt que conditionnel, contribue à améliorer de manière significative l’État de droit, la bonne gouvernance, les droits de la personne et le fonctionnement des nouvelles démocraties de la région.
Mme Éthier n’a pas fini d’étudier la question. Elle a obtenu une nouvelle subvention triennale du CRSH (2002-2005) qui lui permettra d’évaluer les impacts des stratégies conditionnelle et incitative de promotion de la démocratie de l’Union européenne et des pays donateurs de l’OCDE à l’égard des pays des Balkans.
Composantes du Pacte de stabilité avec l’Europe du Sud-Est, ces stratégies s’adressent à des pays détruits par la guerre, dont les conditions internes sont plus défavorables que celles des pays étudiés précédemment. Cette recherche lui permettra de vérifier si l’efficacité inégale des stratégies de promotion de la démocratie est principalement imputable à leur approche conditionnelle ou incitative ou au niveau de développement économique, social et culturel des pays cibles.
Mathieu-Robert Sauvé