Nanorobots, nanovies intelligentes, la nanoscience fait parler d'elle. Dernièrement, elle a donné lieu à l'une des plus importantes fraudes scientifiques de tous les temps, quand un chercheur a publié une soixantaine d'articles aux «nanorésultats» inventés. Entre les réussites réelles, la folie médiatique et le grand coup de marketing, le public et bien des scientifiques semblent s'y perdre. C'est pourquoi le professeur Patrick Desjardins a voulu faire le point sur ce domaine en émergence à de la 2
e Journée de la recherche, tenue à l'École Polytechnique le 20 février.
Conseiller scientifique de Nanoquébec et titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique de la matière condensée à Polytechnique, M. Desjardins respire l'enthousiasme tout en prônant le réalisme. La première idée fausse à laquelle il s'attaque concerne la définition même qu'on donne à la nanotechnologie.
«Le premier mythe, s'exclame le chercheur, c'est de croire que la nanotechnologie consiste à miniaturiser à l'extrême. Le but ultime n'est pas le record de petitesse, mais plutôt d'obtenir des propriétés nouvelles de la matière, qui n'existent qu'à l'échelle du nanomètre.»
De fait, dans le monde de l'infiniment petit, les propriétés des matériaux changent. Deux atomes, par exemple, n'auront pas la même température de fusion que 15 atomes. Et ces 15 atomes auront une couleur différente de celle de 2 atomes. Pourquoi? C'est la mécanique quantique qui nous permet d'obtenir des réponses.
Dans un atome seul, un électron est condamné à rester près de son noyau, avec des énergies possibles bien précises. En revanche, dans un amalgame de 15 atomes, qui mesure environ quatre nanomètres, l'électron n'est plus confiné à son noyau. Il peut bouger sur quatre nanomètres et avoir toutes sortes d'énergies différentes. Et qui dit énergies différentes dit propriétés physiques différentes.
Découvertes et révolution
Les propriétés des matériaux varient donc en fonction de leur dimension. «Cela veut dire qu'on peut modifier ces propriétés en changeant la taille des matériaux», résume le professeur Desjardins. C'est comme si l'on créait un atome artificiel possédant des caractéristiques qu'on ne retrouve pas dans la classification périodique des éléments.
«La nanotechnologie, c'est, en plus de miniaturiser, comprendre cette nanoscience et en tirer profit. D'où la conclusion facile que la nanotechnologie va totalement révolutionner le monde de l'ingénierie. À mon avis, cela se fera de façon beaucoup plus progressive qu'une révolution, nuance le chercheur. Nous n'en sommes qu'aux premières découvertes.»
Mais quelles sont-elles au juste, ces découvertes? Le point scientifique marquant dans le développement des nanotechnologies fut l'arrivée, dans les années 1980, des microscopes à effet tunnel et à force atomique. Ces microscopes fonctionnent sur le principe d'une pointe-sonde qui se déplace sur une surface à analyser et en dresse une «carte topographique». Outre le fait de pouvoir «voir» les atomes, les propriétés de la pointe-sonde permettent d¹interagir avec ces atomes et de les manipuler. C'est ce qui nous a permis de construire des petits amalgames d'atomes et d'en étudier les propriétés physiques.
Ces travaux théoriques ont mené à d'intéressantes applications concrètes qui ont été assemblées molécule par molécule. Dernièrement, Samsung annonçait la création d'un écran plat de neuf pouces fait de nanotubes de carbone et IBM mettait au point un transistor fonctionnel de six nanomètres, soit la longueur d'une vingtaine d'atomes. En télécommunications, on a fabriqué des lasers qui émettent la longueur d'onde désirée si l'on donne la bonne épaisseur au matériel émetteur.
«Ces réussites combinent des composants nanométriques avec des technologies connues, précise le professeur. D'après les prévisions, les applications actuellement possibles pourraient engendrer des retombées économiques de 1000 milliards de dollars pour 2010. Les joueurs majeurs seront l'optoélectronique, la microélectronique ainsi que les domaines médical et pharmaceutique.»
Ce montant plus qu'intéressant pourrait encore augmenter, si l'on se fie à l'imagination des nanotechnologues: transistors organiques, portes logiques moléculaires, marqueurs biologiques nanométriques, nanopoudres, fils de cuivre moléculaires et engrenages de nanotubes. Quoique optimiste, M. Desjardins se garde bien de spéculer sur les retombées économiques possibles de ces futures technologies.
«De grands défis nous attendent encore: assembler ces nanostructures et les intégrer dans un dispositif totalement nanométrique, fabriqué en série. Par exemple, si vous vouliez construire, avec la technologie actuelle, une petite structure d'environ 50 atomes d'épaisseur sur une surface de un centimètre carré, cela prendrait 90 ans! Et cela, même si l'on était capable de positionner un milliard d'atomes à la seconde!»
Et comme si ce n'était pas assez, la somme des connaissances nécessaires en physique, biologie et chimie sera faramineuse. Si M. Desjardins prédit une révolution, c'est bien dans la formation des futurs scientifiques qui travailleront dans le domaine. «Il faudra mettre l'accent sur une formation plus multidisciplinaire que jamais, un peu comme c'est arrivé en biotechnologie.»
«Je n'ai pas de boule de cristal, conclut-il, mais je crois qu'il existe un véritable potentiel du côté de la nanotechnologie, si l'on s'y donne à fond avec persévérance.»
Il y a assurément là de quoi susciter de nouvelles vocations. Après tout, si dans les 60 dernières années l'ordinateur à clapets électromécaniques s'est transformé en Pentium IV à 2 gigahertz, la nanotechnologie pourrait bien nous mener aussi loin.
Isabelle Vaillancourt
Collaboration spéciale