Une équipe sous la direction du criminologue Serge Brochu vient de recevoir 400 000 $ sur deux ans pour un projet de recherche sur la criminalité et la toxicomanie dans le contexte des alliances de recherche université-communauté (ARUC) mises sur pied par le gouvernement fédéral. Si l'on additionne les 600 000 $ attribués en 2000, cela fait un million de dollars qui auront été consacrés à ce projet.
«Plusieurs jeunes contrevenants dans les centres jeunesse sont aux prises avec des problèmes de drogue, signale M. Brochu, directeur du Centre international de criminologie comparée (CICC). Malheureusement, le personnel n'est pas toujours capable d'en évaluer l'ampleur. C'est le syndrome de la porte tournante: le jeune est envoyé dans un centre de désintoxication, où il n'est pas le bienvenu sous prétexte qu'il relève plutôt des centres traitant les problèmes de santé mentale. Et inversement.»
Entre autres réalisations depuis trois ans, l'équipe du professeur Brochu a élaboré un court questionnaire (le formulaire tient sur deux pages) qui permet au personnel d'évaluer les problèmes du contrevenant. Les centres jeunesse de la région de Québec l'ont adopté et l'utilisent dans leurs interventions. Serge Brochu est également satisfait d'avoir mis en réseau plusieurs intervenants dont la concertation présentait des lacunes avant que débutent les travaux financés par les ARUC.
Changement de mentalités
De façon générale, les criminologues professionnels n'ont pas reçu de formation adéquate pour intervenir auprès des toxicomanes, selon Serge Brochu. Ce dernier est d'ailleurs l'un des rares, au Québec, à avoir consacré sa carrière de chercheur à la relation criminalité-toxicomanie. Professeur à l'École de criminologie depuis 1986, il a suivi le cheminement de nombreux groupes de contrevenants, jeunes ou adultes, qui consommaient des drogues illicites et plusieurs des résultats de ses travaux ont été publiés dans des revues scientifiques.
Selon lui, l'approche criminologique est très différente quand on a affaire à un toxicomane. Mais il ne faut pas exiger une abstinence complète de la personne avant d'aborder le traitement. «Nous travaillons dans un contexte de réduction des méfaits, non dans un modèle absence totale de consommation», explique-t-il.
La plus répandue des drogues chez les personnes ayant un casier judiciaire est la marijuana, mais la cocaïne et l'héroïne suivent. Pour l'intervenant, les problèmes sont nettement diminués lorsque la personne limite sa consommation. «Un joint par semaine, c'est une consommation maîtrisée, selon nous. Et un héroïnomane qui passe au cannabis, pour nous, c'est une nette évolution.»
Mais le spécialiste ajoute que, dans le cas des drogues dures comme l'héroïne et la cocaïne, la consommation limitée relève de l'utopie. À cause de la nature même de ces drogues, il est difficile d'être raisonnable. «C'est comme si vous étiez follement amoureux et que l'être aimé vous disait: "Nous allons nous voir une fois par semaine".»
Évolution des mentalités
Comme plusieurs spécialistes des drogues, Serge Brochu s'oppose à l'approche répressive. Mais alors qu'il avait autrefois l'impression de prêcher dans le désert, le vent semble avoir tourné. Au Canada, deux comités gouvernementaux ont récemment pris position contre la répression pure et simple: le comité spécial du Sénat sur les drogues illicites et le comité des Communes sur la consommation médicale des drogues ou médicaments. Le président du premier, Pierre Claude Nolin, vient d'ailleurs de publier une synthèse des travaux de son comité aux Presses de l'Université de Montréal, qui favorisent la légalisation des drogues douces. Ceux du second comité tendent vers la décriminalisation.
Peu courante dans les universités, la recherche en partenariat avec les organismes communautaires exige beaucoup de temps. L'équipe de Serge Brochu travaille avec six organismes: la Fédération des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes du Québec, Diogène (qui intervient auprès des personnes judiciarisées atteintes de maladie mentale et de toxicomanie), la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la région de Québec, le centre Dollard-Cormier, l'Association des centres jeunesse du Québec et le Centre hospitalier Louis-Hippolyte-Lafontaine.
Pour Serge Brochu, la première partie des ARUC a montré la pertinence d'un tel projet. Malheureusement, les 400 000 $ qui viennent d'être accordés à son équipe constituent une subvention terminale pour le Conseil de recherches en sciences humaines. S'ils veulent poursuivre l'expérience, les chercheurs devront trouver d'autres sources de financement. «Et ce, au moment où de nouveaux partenaires nous faisaient connaître leur intérêt de se joindre à nous», soupire le directeur du CICC.
Mathieu-Robert Sauvé