Que se passe-t-il dans la tête d'un homme qui frappe sa conjointe, tue quelqu'un ou vole? La réponse n'est pas simple, d'autant plus que les protagonistes eux-mêmes ne semblent pas le savoir. C'est ce qui ressort des témoignages rapportés par Dianne Casoni, professeure de psychologie à l'École de criminologie, et Louis Brunet, de l'Université du Québec à Montréal, dans un ouvrage intitulé
La psychocriminologie : apports psychanalytiques et applications cliniques, publié aux Presses de l'Université de Montréal. En voici trois extraits.
«Je ne sais pas, on a dû se disputer, je ne me souviens pas exactement. J'étais tellement fâché. Je ne sais pas ce qui m'a fait un peu perdre la tête.» «C'est très flou... Bien, en fait, c'est parce que toutes les fois sont très floues, qu'il y ait eu de l'alcool ou pas. Mais la raison que cette fois-là est particulièrement floue, c'est parce que j'ai bu plus que d'habitude cette fois-là.» «Mais je n'avais pas l'intention de la frapper. Je ne sais pas trop ce qui était arrivé, parce que j'avais le dos tourné et puis j'ai senti le pot me frapper et là je l'ai juste frappée.»
En avant-propos, les auteurs préviennent d'ailleurs qu'il n'existe pas d'explication unique ni de réponses simples à cette question.
Premier ouvrage en 40 ans
Selon Mme Casoni et M. Brunet, cet ouvrage est le premier depuis une quarantaine d'années à être publié en français sur la psychocriminologie psychanalytique. Plusieurs raisons expliquent ce long silence, a répondu à Forum Mme Casoni. «L'efflorescence de travaux sur le sujet s'est concentrée dans la période de l'après-guerre, au moment où plusieurs pays se sont retrouvés avec des problèmes majeurs de délinquance. Puis, la théorie étant jugée satisfaisante, on est passé à l'expérimentation, qui a confirmé que les apports théoriques sont toujours d'actualité.»
Après avoir situé la contribution de la psychocriminologie psychanalytique par rapport à la psychologie, Mme Casoni et M. Brunet présentent les principaux auteurs européens et nord-américains. «Encore aujourd'hui, écrivent-ils, la psychanalyse fournit à la criminologie la théorie explicative la plus complète qui soit du fonctionnement psychique délinquant.» Selon Mme Casoni, ce qui fait la supériorité de la théorie psychanalytique, c'est justement qu'elle essaie de comprendre le fonctionnement de l'être humain, que celui-ci soit normal ou fou, délinquant ou non. Elle n'est pas «une simple psychologie du comportement criminel». En d'autres mots, ajoute l'auteure, «on essaie de comprendre ce qui se passe dans la tête du monde». La professeure explique aussi cette longueur d'avance de la psychocriminologie psychanalytique par la maturité qu'elle a atteinte par rapport à d'autres approches beaucoup plus jeunes. «Une théorie, c'est un ensemble cohérent d'hypothèses. Or, une théorie demande du temps pour se développer, surtout quand il s'agit d'expliquer une réalité aussi complexe que le fonctionnement humain.»
L'identification
Un chapitre du livre porte sur l'identification, qui joue un rôle majeur dans le passage à la délinquance et ensuite à une «carrière» criminelle.
Découverte par Freud, l'identification est le processus par lequel un individu intègre en lui-même, de façon inconsciente, les caractéristiques, bonnes ou mauvaise, d'une autre personne. Sa personnalité se construit ainsi à travers les diverses identifications qui se produisent au cours de sa vie, en particulier au cours de l'enfance. «L'identification permet de saisir le développement des qualités humaines les plus évoluées, comme l'empathie, le respect et la sollicitude», constatent en outre les auteurs. Ainsi, une perturbation dans l'identification aux figures parentales donne lieu à certaines carences qui peuvent empêcher l'intériorisation des principes éthiques et moraux ainsi que des interdits.
L'agir
Les professeurs Casoni et Brunet expliquent aussi le comportement délinquant par la propension à l'agir pour se décharger d'une tension interne insupportable. «Dans ces cas, faire un geste au lieu de réfléchir ou de tolérer l'attente qu'impose une situation donne l'impression à l'individu, sur le coup, d'évacuer son stress ou encore sert d'exutoire à une trop grande pression interne. Ceci s'observe facilement chez les enfants d'âge préscolaire qui recourent soudainement à une décharge motrice effrénée lorsqu'ils sont soumis à beaucoup d'émotions ou de stress, que ce soit parce qu'ils sont heureux, joyeux, excités, inquiets, fatigués ou angoissés.» L'agir serait également un moyen «d'éviter de ressentir l'angoisse que l'intensité des affects est susceptible d'éveiller». Ce mode de réaction est potentiellement présent en chacun de nous, mais typique de certains individus.
Le besoin de comprendre ce qui pousse des hommes au crime stimulera toujours l'imaginaire, concluent les auteurs. Comment en effet expliquer autrement la grande popularité du polar, écrit ou à l'écran? Même si nous préférons penser que ces comportements aberrants sont le fruit d'esprits tordus, ajoutent-ils, nous savons que nous ne sommes pas si différents.
Françoise Lachance