Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, il y a 20 millions de réfugiés dans le monde et 80 % d'entre eux sont des femmes. Dans les guerres modernes, 80 % des victimes sont des civils, principalement des femmes.
Derrière ces froides statistiques, des personnes de tous âges vivent des drames qui bouleversent leur vie. Trois femmes sont venues témoigner de cette réalité le 3 avril dernier au cours d'une table ronde organisée par les membres d'Amnistie internationale, section Université de Montréal, et ayant pour thème «Femmes, guerre et esclavage».
Victimes de crises politiques
Khatoune Temisjian, agente de recherche au Centre d'études ethniques des universités montréalaises (CEETUM), a présenté les données d'une enquête réalisée par l'Organisation internationale pour la migration, l'Unicef et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, concernant les Arméniennes ayant migré après la dissolution de l'URSS. Près de un million de personnes, soit le quart de la population du pays, avaient alors fui la misère et la pauvreté en espérant trouver un meilleur sort ailleurs.
L'étude a porté sur 59 femmes retournées en Arménie après avoir connu l'exil en Truquie et aux Émirats arabes unis. Quarante-trois d'entre elles ont été victimes de trafic, c'est-à-dire de déplacements imposés par la menace, l'abus de pouvoir ou l'enlèvement. De ces 43 femmes, 28 ont été victimes d'exploitation sexuelle, de travail forcé ou de violence.
«Plus vulnérables au commerce sexuel, ces femmes ont été trompées dans l'objectif de leur déplacement», affirme Mme Temisjian, qui est également présidente de l'Association des femmes arméniennes du Canada. La chercheuse a illustré son propos à l'aide du cas bouleversant d'une femme qui s'est retrouvée malgré elle dans un réseau international de prostitution. Au cours d'une soirée entre amis, cette jeune femme fait la connaissance d'un homme qui dit vouloir la marier et qui la convainc de partir avec lui pour aller travailler en Grèce.
Elle atterrit plutôt aux Émirats arabes unis, abandonnée dans un hôtel par son «fiancé». Un inconnu vient alors la chercher, lui disant qu'elle lui appartient et qu'il l'a achetée. Son «propriétaire» la force à accepter de 30 à 40 clients par jour et à lui verser 500 $ quotidiennement. Elle sera revendue trois fois, sera battue sans raison et sera victime d'une tentative de meurtre de la part d'un client avant d'être emprisonnée pendant quatre mois à la suite d'une rafle policière dans l'hôtel où elle se trouvait.
Cette femme est rentrée en Arménie sans un sous. Abandonnée, déshonorée et considérée comme une prostituée dans son pays, elle n'a eu d'autre choix que de se livrer à ce seul métier qu'elle connaissait.
Victimes de guerres coloniales
Les guerres oubliées d'Afrique offrent aussi leur lot d'horreurs sans nom. Aoua Bocar Ly, de l'Université d'Ottawa, a rappelé à notre mémoire le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie, suscité par un projet de construction de barrage sur le fleuve Sénégal. «Le fleuve Sénégal a été une voie de conquête vers l'Ouest et il constitue aujourd'hui sur les plans néolibéral et militariste un point de contrôle de l'Afrique», a-t-elle soutenu.
Selon Mme Bocar Ly, ce conflit, qui dure depuis 14 ans et qui viserait à déporter les Noirs mauritaniens au profit des Maures, est attisé par les anciennes puissances coloniales. Dans les camps de réfugiés, les femmes, majoritaires, vivraient dans la plus grande détresse. Les hommes sont repartis vers les capitales pour chercher du travail et les tâches qui leur incombaient normalement sont accomplies par les femmes. Et ceux qui restent sont occupés à dormir. Les femmes sont victimes d'abus de travail, sont vulnérables aux expulsions, aux viols et aux tortures.
Aoua Bocar Ly n'a pas manqué de fustiger la guerre actuelle en Irak. «George W. Bush ramène le monde 200 ans en arrière, viole toutes les lois internationales et ressuscite les guerres de religion, a-t-elle lancé. Jamais une guerre n'est déclenchée pour des raisons humanitaires ou pour libérer le peuple d'un dictateur. Et les femmes en sont toujours les premières victimes.»
Des victimes qui s'organisent
Sur une note plus optimiste, Nancy Burrows, de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), a rappelé les actions entreprises par la Marche mondiale des femmes depuis 2000, une initiative qu'avait lancée la Fédération.
De retour d'une rencontre organisée quelques jours auparavant à Delhi, Mme Burrows a présenté la déclaration anti-guerre adoptée par les représentantes de 36 pays et qui réclame la tenue d'une assemblée générale des Nations Unies pour mettre fin aux bombardements en Irak.
«Les guerres ne font qu'empirer la souffrance sans résoudre les problèmes», a-t-elle indiqué, ajoutant elle aussi que les premières victimes en sont les femmes et les enfants.
Outre l'intervention à l'égard de l'ONU, les responsables de la Marche mondiale des femmes préparent leur prochaine action internationale, qui devrait se dérouler en 2005 et qui viserait l'adoption d'une charte des femmes pour l'humanité.
Daniel Baril