Une découverte de Guy Sauvageau, professeur à la Faculté de médecine et chercheur à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, pourrait permettre d’améliorer les traitements des maladies du sang et ouvrir une nouvelle voie de recherche dans la lutte contre le cancer, tout en décuplant la capacité de production des dérivés sanguins.
Le chercheur a découvert qu’un gène situé sur le chromosome 17, soit le gène HOXB4, a la faculté de multiplier le potentiel de reproduction des cellules souches. «Nous avons démontré, tant
in vitro que
in vivo, que sa présence pouvait accroître jusqu’à un facteur de 1000 le nombre de cellules produites», affirme-t-il. Ces résultats de recherche ont été récemment publiés dans les revues
Nature et
Cell-Immunity.
Cellules souches
Il existe dans le corps des cellules capables de se régénérer elles-mêmes ou de se différencier dans l’un ou l’autre des organes et tissus vivants. Ce sont les cellules souches, dont on commence à peine à percer les secrets. «Chaque jour, nous produisons des milliards de cellules, explique le chercheur. Pourtant, les 100 000 cellules souches que nous recevons à notre naissance restent les mêmes tout au long de notre vie. Elles ont cette faculté exceptionnelle de s’autogénérer tout en fabriquant des cellules qui, elles, se spécialisent.»
Il semble que certaines de ces cellules qu’on dit aussi totipotentes puissent être reprogrammées hors de l’organisme (
in vitro), puis clonées avant d’être réinjectées. Mais toute recherche sur cette méthode de clonage thérapeutique est actuellement interdite aux États-Unis pour des raisons éthiques. Il faudra donc attendre pour connaître les retombées des connaissances acquises sur le gène HOXB4.
Par ailleurs, dans le domaine de la biologie du cancer, un concept émergent veut qu’un petit groupe de cellules souches soient à l’origine de la croissance des tumeurs. Dans la revue
Nature, le professeur Sauvageau présente les résultats de sa recherche sur un gène qui joue un rôle majeur dans la prolifération de ces cellules: le Bmi-1. «Nous apportons la preuve que le potentiel de prolifération des cellules souches présentes dans la leucémie est relié à une carence en Bmi-1. Cela expliquerait pourquoi certaines transplantations échouent.»
Traitement des maladies du sang
Actuellement, les cellules souches issues de la moelle osseuse ou de cordons ombilicaux sont greffées chez des patients atteints de diverses maladies. Mais on aimerait améliorer ce traitement, car souvent le nombre de cellules transplantées est insuffisant. Les connaissances sur le gène HOXB4 pourraient permettre cette avancée.
La greffe de moelle osseuse est une opération à laquelle le Dr Sauvageau se consacre de façon hebdomadaire à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. «Certaines maladies du sang comme la leucémie ou l’anémie falciforme ont pour origine un dérèglement de la moelle osseuse. Si on remplace cette moelle par une moelle saine, le patient peut guérir. Mais en général, on manque de cellules souches capables de se fixer aux bons endroits.»
Guy Sauvageau, qui est titulaire de deux brevets internationaux et d’un brevet américain sur sa découverte, assure qu’il doit cette percée au hasard. «J’étais fasciné par un phénomène observé chez la drosophile. Cette mouche présente une aberration chromosomique à peine croyable : certains individus naissent avec une patte à la place d’une antenne. Je me suis demandé si un gène similaire pourrait réguler la prolifération des cellules souches de l’homme. Si c’était le cas, cela pouvait aussi expliquer des dérèglements comme le cancer. C’est là que j’ai gagné le gros lot.»
Le jeune chercheur ne partait pas de zéro. Le professeur E.D. Lewis, lauréat du prix Nobel de médecine en 1995, avait postulé l’existence de ces gènes maîtres chez la mouche. Mais cela restait à démontrer chez l’homme. Guy Sauvageau y a consacré son doctorat.
La cellule du cancer
Les conséquences de ses travaux pourraient ouvrir de nouvelles pistes de recherche dans la lutte contre le cancer. Il ne fait plus aucun doute, à son avis, que la tumeur cancéreuse est une «cellule souche qui a mal tourné». «Après avoir étudié des cellules souches normales et cancéreuses, nous en sommes venus à la conclusion que le cancer était d’abord une anomalie génétique de la cellule souche.»
Le laboratoire du professeur Sauvageau, qui compte une vingtaine de chercheurs, se consacre à l’étude du gène HOXB4 depuis sept ans. Mais, signe que cette piste est prometteuse, une douzaine de laboratoires en Amérique du Nord lui ont emboîté le pas depuis l’an 2000. Non seulement les effets thérapeutiques de cette découverte peuvent être immenses, mais le fameux gène pourrait permettre la multiplication, dans un bioréacteur, de produits comme le sang.
«Imaginez qu’avec un culot sanguin on puisse produire un millier de culots! Cela pourrait régler très rapidement les problèmes endémiques de pénurie», commente le professeur Sauvageau.
La publication des travaux sur le gène HOXB4 a été réalisée avec la collaboration de Julie Lessard (
Nature) et Jana Krosl, Nathalie Beslu, Nadine Mayotte et R. Keith Humphries (
Cell-Immunity).
Mathieu-Robert Sauvé