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Selon le Dr Guy Delespesse, les bactéries probiotiques auraient un effet bénéfique sur le système immunitaire des nouveaux-nés. On le voit ici en compagnie de la chercheuse postdoctorale Zoulfia Allakhverdieva. |
Pensant bien faire, les parents interdisent à leurs bambins de toucher aux objets souillés et de porter les jouets à leur bouche. Erreur. «Il existe une relation inverse entre le niveau d’hygiène et l’occurrence des allergies, explique le Dr Guy Delespesse, professeur à la Faculté de médecine et directeur du Laboratoire de recherche sur les allergies, situé à l’hôpital Notre-Dame du CHUM. En fait, plus un enfant évolue dans des conditions aseptisées, plus ses risques de souffrir d’une allergie au cours de sa vie sont élevés.»
Les mécanismes qui régissent notre système immunitaire sont de mieux en mieux connus. Sommairement, les lymphocytes, sentinelles de notre système immunitaire, reconnaissent les substances étrangères. Lorsqu’un intrus est repéré, ces lymphocytes produisent des anticorps qui ont pour mission de neutraliser l’agent étranger. Or, chez le patient allergique, le système immunitaire perd la carte. «Le patient développe une réponse immunitaire vis-à-vis d’une composante de son environnement, résume l’allergologue. Cependant, cette réponse est aberrante. En effet, la composante contre laquelle le malade s’immunise est absolument inoffensive pour l’organisme humain.»
Ce n’est pas un hasard si le nombre de patients traités pour des allergies a augmenté en flèche au cours des 30 dernières années. Ce n’est pas un hasard non plus si le nombre de patients aux prises avec des allergies s’est accru uniquement dans les pays dits développés. Les régions où les conditions de salubrité sont restées stables n’ont connu aucune multiplication des maladies allergiques.
La flore intestinale aux commandes
Pourquoi le système immunitaire se retourne-t-il contre l’organisme qu’il est censé défendre? De plus en plus d’indices laissent croire que la flore intestinale serait responsable de ce dérèglement. «Les recherches dans ce domaine sont assez inusitées, observe le Dr Delespesse. Les scientifiques ont effectivement démontré que les bactéries présentes dans nos intestins ont pour rôle d’éduquer notre système immunitaire. Elles lui apprennent comment réagir à l’égard des substances étrangères.»
La suite est facile à deviner: plus les individus évoluent dans un environnement aseptisé, moins la flore bactérienne qui tapisse leur intestin est riche et diversifiée. Vraisemblablement, les bactéries auraient du mal à réaliser leur tâche d’éducation.
Pour enrichir notre flore intestinale, rien de mieux que d’ingérer une bonne dose de bactéries ou, plus précisément, de probiotiques. «Ce sont des bactéries d’origine intestinale, isolées de l’organisme humain, qui ont un effet bénéfique sur la santé», explique le Dr Delespesse.
Récemment, des études ont démontré que l’administration de probiotiques à des nouveau-nés ou à de futures mamans au dernier tiers de leur grossesse pourrait réduire de 50 % l’incidence des allergies au cours des deux premières années de vie de l’enfant. Et où trouve-t-on ces fameux probiotiques ? «On s’en sert depuis des décennies dans la fabrication des yogourts», rétorque le chercheur.
À ce jour, il existe un seul yogourt, mis en marché en Europe, dont les vertus ont été scientifiquement prouvées. Chez les autres compagnies laitières, c’est maintenant la course folle. «Si les études préliminaires se confirment, tous les médecins recommanderont aux futures mamans de manger du yogourt et d’en donner à leurs nourrissons. Un marché de plusieurs milliards de dollars s’ouvrira alors aux compagnies laitières», souligne le chercheur, qui agit lui-même à titre de conseiller scientifique pour une de ces sociétés.
Si les vertus des probiotiques semblent être confirmées chez les nouveau-nés, elles sont beaucoup moins évidentes chez l’adulte. «L’entraînement de notre système immunitaire s’apparente un peu à l’éducation d’un enfant, souligne le Dr Delespesse. Plus on attend pour apprendre à lire, plus ce sera difficile. De la même façon, pour être efficace, la flore bactérienne doit éduquer le système immunitaire le plus tôt possible.»
Mais les adultes n’auraient pas tout perdu. Si aucun bienfait n’a encore été démontré en ce qui a trait aux allergies, les probiotiques auraient un effet protecteur vis-à-vis d’autres types de maladies. Par exemple, il semblerait que, dans certains cas, l’évolution de la maladie de Crohn puisse être freinée par la prise de probiotiques. Une tendance similaire s’observe pour ce qui est des maladies auto-immunes, dont le diabète et la sclérose en plaques.
«Dans un sens, les maladies auto-immunes sont assez proches des maladies allergiques, explique le Dr Delespesse. Dans les deux cas, on a affaire à une réponse aberrante du système immunitaire. S’il s’agit d’une allergie, le système immunitaire se retourne contre une composante inoffensive de l’environnement. S’il s’agit d’une maladie auto-immune, il se retourne contre l’organisme lui-même. L’insuline ou le système nerveux peuvent être attaqués.»
Les vertus de la flore intestinale sont telles que certains chercheurs croient qu’elle pourrait avoir un impact sur le cancer. «Le domaine des probiotiques est en train d’exploser, affirme le Dr Delespesse. Leurs bienfaits sont loin d’être scientifiquement établis, mais les preuves s’accumulent.»
Dominique Forget
Collaboration spéciale