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Samuel, 11 ans, adore les jeux vidéo. |
Les accords métalliques qui s’échappent du jeu vidéo auquel vos enfants sont rivés vous stressent? Pas étonnant! Odrée Dionne-Fournelle, qui termine son baccalauréat en orthophonie, vient de démontrer que la musique des jeux vidéo entraîne une réaction physiologique mesurable sur l’organisme: l’augmentation du taux de cortisol, une hormone liée au stress.
Cette conséquence pourrait nuire à la santé: les personnes qui ont un taux de cortisol naturellement élevé présentent des risques de maladies cardiovasculaires, d’hypertension, de diabète ou de stress chronique. Une étude américaine avait déjà suggéré que les effets des jeux vidéo sur l’organisme étaient semblables à ceux observés en situation de stress, soit une augmentation de la pression artérielle et des rythmes cardiaque et respiratoire. Mais c’est la première fois qu’on décortique le jeu pour trouver la source particulière du problème. «Un jour, une de mes professeures m’a fait remarquer qu’elle se sentait stressée quand son fils jouait à l’ordinateur. C’est de là que m’est venue l’idée de m’intéresser à l’aspect sonore du jeu», explique Odrée Dionne-Fournelle.
Le test QUAKE
Cinquante-deux hommes, âgés de 19 à 30 ans, se sont prêtés au jeu de l’expérimentation. Pour les besoins de la cause, ils se sont livrés à une séance intensive de QUAKE III, un jeu de poursuite bien connu des amateurs qui consiste, en gros, à tuer des robots. Un groupe a joué avec musique, l’autre sans. Les mesures de cortisol salivaire ont confirmé l’hypothèse de Mme Dionne-Fournelle: une quinzaine de minutes après la fin du test, le groupe de joueurs évoluant dans le silence sécrétaient moins de cortisol que les autres.
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Odrée Dionne-Fournelle |
«Le groupe sans musique a obtenu des performances équivalentes à celles de l’autre groupe, mais plusieurs joueurs nous ont confié avoir trouvé bizarre le fait de jouer en silence. Même si le stress procuré par la musique est associé à une excitation positive recherchée par le joueur, le corps, lui, ne fait aucune différence avec un bruit néfaste qui engendre un stress négatif», note la chercheuse.
Des résultats convaincants, mais encore insuffisants pour clouer une fois pour toutes au pilori Super Mario et ses compères. «Pour ne pas introduire de biais dans l’étude, nous n’avons testé que des personnes qui jouaient pour la première fois: on ignore donc comment réagissent les joueurs coutumiers. De deux choses l’une: ou ils ne répondent plus au stress causé par la musique en raison d’un effet d’habituation, ou leur niveau de cortisol est constamment plus élevé.»
Et tout le problème est bien là: la plupart des joueurs coutumiers peuvent passer plusieurs heures par semaine ou par jour à tuer des méchants ou à gagner des courses automobiles sans voir le temps passer. «Subir un stress une fois de temps en temps n’est pas inquiétant en soi. Ce qui l’est plus, ce sont les effets à long terme du stress vécu: si les joueurs coutumiers ont les mêmes problèmes de santé que les personnes avec un niveau de cortisol chroniquement élevé, il y a de quoi s’inquiéter!»
D’où l’importance de mener d’autres études qui incluraient des aficionados des jeux vidéo.
Analyse musicale
Pour l’heure, la chercheuse s’attelle à l’analyse de la musique elle-même. Pourquoi, en effet, l’environnement sonore des jeux vidéo n’a-t-il pas le pouvoir apaisant d’un disque de relaxation? «Le bruit est connu depuis longtemps comme un facteur de stress pour l’organisme, mais certains types de musique peuvent l’être également: une étude a déjà démontré que la musique de discothèque influait sur la sécrétion de cortisol.»
L’étude du style (tonal, atonal, modal), du spectre des fréquences et de leurs intensités respectives devrait conduire les chercheurs à une meilleure compréhension de ces phénomènes. «Dans les jeux vidéo, les musiques diffèrent selon qu’il s’agit d’une course de voitures ou d’une poursuite par exemple. La musique de QUAKE III est de type heavy metal avec beaucoup de basses fréquences. Il est possible que cette caractéristique ait un lien avec l’effet physiologique observé.»
Quant au volume d’écoute, il a aussi sa part de responsabilité. Selon Mme Dionne-Fournelle, ce n’est pas un hasard si les personnes qui jouent souvent équipent leur ordinateur de cartes de son très performantes! Cependant, le volume ne permet d’expliquer qu’une partie du problème: un son très intense écouté sur une courte période équivaut à un son de plus basse intensité écouté sur une longue période.
Quels que soient les résultats à venir, les travaux de Mme Dionne-Fournelle suscitent déjà un grand intérêt. La jeune chercheuse a d’ailleurs reçu un prix d’excellence au congrès des stagiaires de l’Université. Les juges eux-mêmes, inquiets pour leurs enfants, lui auraient posé de nombreuses questions…
Anne Fleischman
Collaboration spéciale