Alors que la controverse persiste quant à l’impact des films et des jeux violents sur l’agressivité des jeunes, Daniel Paquette, professeur associé au Département de psychologie et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement social des jeunes, soutient que les jeux de bataille entre parents et enfants peuvent au contraire diminuer l’agressivité des jeunes.
Le chercheur a observé les jeux physiques (sans jouets) auxquels s’adonnaient les membres de 48 familles, en analysant séparément les comportements des pères et des mères avec leurs enfants, soit 26 garçons et 22 filles âgés de deux à cinq ans. Pour la première fois dans ce genre d’étude, on a établi des distinctions entre les jeux brusques (lutte, poursuite, bataille d’oreillers, etc.), les jeux de soulèvement (faire le cheval, tenir l’enfant au bout des bras, lui faire faire l’avion) et les jeux de motricité au sol (culbute, pédaler pieds contre pieds...).
«Je m’attendais à observer une corrélation inverse entre la fréquence des jeux de bataille entre les pères et les garçons et la fréquence des agressions commises par ces garçons auprès des autres enfants, indique Daniel Paquette. Cette attente nous paraissait justifiée par le fait que les jeux de bataille permettent à l’enfant de canaliser son agressivité et d’inhiber certains comportements violents.»
Toutefois, l’ensemble des données ne permet pas d’établir de corrélation ni positive ni négative entre les jeux de lutte observés et les gestes agressifs de l’enfant rapportés par les parents. Cette absence de corrélation permet en revanche de dire que les jeux de bataille n’augmentent pas l’agressivité chez les enfants, souligne le chercheur.
Par ailleurs, l’hypothèse de Daniel Paquette a trouvé une confirmation partielle chez les garçons et les filles faisant preuve de détermination à gagner la bataille avec le père. «Plus l’enfant est motivé à gagner les jeux de bataille, plus il sera compétitif avec les autres enfants, mais cette compétitivité se manifeste sans agressivité physique», affirme-t-il.
Différences intersexes
Presque tous les types de jeux ont présenté des différences intersexes selon qu’ils étaient dirigés par le père ou par la mère à l’endroit d’un garçon ou d’une fille.
Ainsi, les pères ont joué à ces jeux de lutte beaucoup plus souvent avec les garçons (65 %) qu’avec les filles (41 %). Par comparaison, 46 % des mères se sont livrées à des batailles avec les garçons et seulement 27 % l’ont fait avec leur fille.
Cependant, les mères lancent plus d’«attaques de bécots» que les pères (21 % contre 9 %) et les filles en sont plus souvent l’objet que les garçons (23 % contre 19 %).
Dans le cas des jeux de lutte mère-fille, les observations sont allées à l’encontre de l’hypothèse de départ. La fréquence de ces jeux s’est avérée corrélée avec une augmentation de l’agression physique, de la désobéissance et de l’anxiété chez la fille.
Selon le chercheur, ceci pourrait être dû à l’attitude des mères. «Contrairement aux pères, dit-il, les mères laissent moins souvent leur fille gagner une bataille. Elles exercent plus de contraintes et de coercition, ce qui peut augmenter le degré d’anxiété chez la fille.»
Laisser gagner
Pour Daniel Paquette, il est donc très important de laisser parfois gagner l’enfant. Le parent doit exercer un contrôle modéré et demeurer sensible aux signaux de l’enfant afin de maintenir le plaisir. «Lorsque ce n’est plus plaisant pour l’enfant, il faut cesser le jeu.»
Ces jeux bien dirigés demeurent à son avis essentiels à la régulation des sentiments de colère et d’agressivité, donc indispensables à la socialisation. «Les enfants ont besoin de contacts physiques et les jeux de bataille donnent aux pères une occasion de tels contacts avec leur enfant.»
Ce serait dans les sociétés les plus compétitives qu’on trouverait le plus haut taux de jeux de bataille parents-enfants. Selon le chercheur, les parents, principalement les pères, y recourent inconsciemment afin de préparer l’enfant à un milieu extérieur où la concurrence est vive.
Réprimer ces jeux pourrait même se révéler néfaste. «Chez les singes, souligne Daniel Paquette, les jeunes qui n’ont pas l’occasion de se livrer à des jeux de combat avec leurs pairs deviennent soit agressifs, soit soumis parce qu’ils n’arrivent pas à décoder les signaux sociaux des autres.»
Même si les résultats de cette première étude ne confirment que partiellement son hypothèse, Daniel Paquette poursuit ses travaux dans ce domaine en retenant cette fois la qualité du rapport parents-enfants dans les jeux de bataille — plutôt que leur fréquence et leur durée — comme élément prédictif de la diminution de l’agressivité chez les enfants.
Daniel Baril