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L’étude du professeur Parviz Ghadirian (à gauche) et d’André Nkondjock, stagiaire postdoctoral à l’Institut national du cancer du Canada, est la première à se pencher sur l’interaction entre antioxydants et acides gras essentiels dans l’étiologie d’un cancer. |
Une équipe de chercheurs du Département de nutrition vient de tirer une sonnette d’alarme quant à la forte consommation d’antioxydants et ses risques possibles dans le développement du cancer du sein.
Il est reconnu que les antioxydants détruisent normalement les cellules cancéreuses. Mais une recherche épidémiologique menée par André Nkondjock, dans des travaux de doctorat que dirige le professeur Parviz Ghadirian, directeur de l’Unité de recherche en épidémiologie du CHUM-Hôtel-Dieu, a établi une corrélation positive entre la vitamine E, qui est un antioxydant, et le cancer du sein chez les femmes postménopausées.
«Une femme postménopausée qui consomme beaucoup de vitamine E court 2,5 fois plus de risques de souffrir d’un cancer du sein que celle qui en consomme peu, affirme le professeur Ghadirian. En fait, la faible consommation de vitamine E abaisse de 59 % le risque de cancer du sein chez les femmes postménopausées. C’est une corrélation très forte.»
L’étude a été effectuée auprès d’un groupe de francophones de souche qui comprenait 414 femmes atteintes d’un cancer du sein et 429 autres sujets témoins, un échantillon jugé considérable.
Acide arachidonique
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Les huiles végétales fournissent un bon apport en vitamine E alors que les produits laitiers, les œufs et la volaille sont riches en acides gras essentiels. Mais la combinaison des antioxydants et des acides gras essentiels semble contre-indiquée pour les femmes postménopausées. |
C’est la première fois qu’un tel lien est établi, mais c’est également la première fois qu’une recherche porte sur l’interaction entre antioxydants et acides gras essentiels dans l’étiologie d’un cancer. Et la clé du paradoxe se trouverait dans un acide gras particulier : l’acide arachidonique. Cet acide polyinsaturé — qui n’a aucun lien avec le gras d’arachide — fait partie du groupe oméga-6 ; il s’agit d’un acide essentiel et il a besoin d’une enzyme, la phospholipase-A2, pour être libéré.
Plus de 200 aliments ont été pris en considération dans le questionnaire sur les habitudes alimentaires et la principale source d’acide arachidonique chez les participantes provenait de la volaille, des produits laitiers et des œufs. Quant à la vitamine E, l’étude n’a mesuré que celle de source alimentaire — issue principalement des huiles végétales (soya et maïs), des vinaigrettes et de la mayonnaise —, sans tenir compte de l’apport fourni par les suppléments vitaminiques. « Si nous avions considéré cet apport, la corrélation entre vitamine E et cancer aurait sans doute été encore plus forte», affirme Parviz Ghadirian.
Pour comprendre le lien entre la vitamine E et le risque de cancer, il faut savoir que les antioxydants ne sont pas les seuls à détruire les cellules cancéreuses : les produits de la peroxydation des acides gras essentiels, soit les polyaldéhydes, s’accumulent dans les tissus cancéreux et provoquent leur destruction. « Avec un apport élevé en vitamine E, l’effet antioxydant freine la peroxydation de l’acide arachidonique et l’on se retrouve avec moins de polyaldéhydes », avance André Nkondjock pour expliquer le paradoxe.
Et pourquoi l’acide arachidonique est-il particulièrement mis en cause quand il existe de nombreux autres acides essentiels ? «Parce que la vitamine E agit directement sur la modulation de la phospholipase-A2, qui libère l’acide arachidonique», précise le chercheur.
La chaîne serait donc celle-ci : plus la quantité de vitamine E est grande, moins il y a de phospholipases-A2 et, par conséquent, moins de polyaldéhydes proviennent de l’oxydation de l’acide arachidonique, ce qui facilite la vie des cellules cancéreuses.
Cette interaction entre antioxydants et acides gras essentiels avait déjà été démontrée en laboratoire, mais jamais dans une étude épidémiologique. Quant à savoir pourquoi le phénomène n’est observable que chez les femmes postménopausées, les deux chercheurs avancent l’hypothèse d’un effet combiné avec celui de l’hormonothérapie qui, selon certains, peut avoir une incidence sur le cancer. Ils soulignent également que d’autres études seront nécessaires pour confirmer et éclaircir le phénomène.
Pour l’instant, cette corrélation semble exclusive au cancer du sein, les antioxydants ayant déjà fait leurs preuves dans la lutte contre d’autres cancers, notamment ceux du côlon, du pancréas et de l’œsophage. Et ce n’est pas le seul paradoxe lié au cancer du sein; certaines études ont en effet montré que les fumeuses présentent un risque réduit de souffrir de cette maladie, alors que la nicotine constitue un facteur de risque élevé pour de nombreux autres types de cancer.
Daniel Baril