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Dave Miranda |
Les jeunes de 15 à 17 ans qui écoutent de la musique heavy metal sont en général plus dépressifs que les adolescents qui préfèrent d’autres formes musicales. Telle est la conclusion d’une étude de Dave Miranda, étudiant au doctorat en psychologie à l’Université. À l’issu d’un travail d’enquête auprès de 348 jeunes rencontrés dans des écoles secondaires de la région de Montréal, il a démontré une corrélation entre certains styles musicaux et le sentiment dépressif chez les adolescents.
En tout, 23 styles musicaux réunis sous cinq grandes catégories ont été analysés : le «métal» (qui inclut notamment le hard rock et le heavy metal), la «pop» (Britney Spears appartient à cette catégorie), le hip hop (musiques afro-américaines comme le reggae, le rythm and blues et le rap), la musique dite de «répertoire» (du jazz à la musique classique) et la musique électronique (bien connue des amateurs de techno). De tous les styles, le hip hop est le plus associé à la bonne humeur alors que le «métal» se situe à l’autre extrémité.
Pour parvenir à ces résultats, le psychologue a demandé aux adolescents d’attribuer une note d’appréciation aux différents styles sur une échelle de 1 à 5. En parallèle, ils ont rempli un questionnaire sur les symptômes de la dépression, tels que le manque d’appétit, la fatigue ou la perte de plaisir à faire des activités. L’échelle de dépression a été comparée avec les choix musicaux respectifs.
Le fait que Bob Marley l’emporte de loin sur Metallica au rayon de la bonne humeur n’étonne pas le chercheur. «La musique "métal" véhicule souvent des images négatives, sur la mort et la violence par exemple. On s’attendait donc à ce que cette sous-culture musicale soit associée à un niveau de dépression élevé. En revanche, le rap est en général porteur de messages de succès, de résistance et de persévérance, qui sont associés à des niveaux de dépression très bas.»
Les travaux de Dave Miranda pourraient bien fournir de précieux renseignements aux travailleurs sociaux et aux psychologues pour le dépistage précoce de la dépression, un mal qui touche de 5 à 20 % des adolescents. « Tout le monde, jeune ou adulte, peut occasionnellement être affecté par un sentiment dépressif passager qui n’a guère de conséquences. Mais quand on sait que, pour certains adolescents, ce sentiment peut dégénérer en une véritable maladie et perdurer à l’âge adulte, il devient important d’en déceler le plus vite possible les signes avant-coureurs », estime-t-il.
Plus marqué chez les filles
L’écoute de la musique est un des loisirs les plus importants dans la vie des adolescents. C’est celui qui leur prend le plus de temps dans une journée et qui leur procure le plus de plaisir, rappelle Dave Miranda. «Des études ont déjà démontré que certaines musiques pouvaient être liées à des comportements antisociaux, mais jusqu’ici on ignorait tout de la question de la dépression.»
L’analyse des résultats a montré que filles et garçons réagissent à la musique de manière différente. Chez les adolescentes, les corrélations entre sentiment dépressif et style musical sont plus marquées : davantage de jeunes filles avec des symptômes de dépression sont attirées par la musique « métal ». «C’est sans doute parce qu’elles ont tendance à porter plus d’attention aux paroles. Elles sont donc plus influencées par le message, qu’il soit positif ou négatif. De leur côté, les garçons semblent être plus sensibles au rythme et à la mélodie.»
Cela ne signifie pas pour autant que la clé du mystère réside du côté de la signification du message chanté. « Les liens entre sentiment dépressif et musique mettent probablement en jeu à la fois les paroles et la mélodie », note le psychologue.
Cause ou effet?
Les adolescents dépressifs sont-ils naturellement attirés par certains styles musicaux ou, au contraire, certaines musiques induisent-elles le sentiment dépressif ? «Il est encore difficile de répondre à cette question. On sait, dans le cas des comportements antisociaux, qu’il peut exister un effet d’entraînement: un adolescent agressif va apprécier une musique violente, qui à son tour va le rendre encore plus agressif. Dans le cas de la dépression, on en saura plus d’ici quelques mois, quand on fera repasser le test à la même cohorte de jeunes. Mais on ne saura sans doute jamais avec certitude si c’est la musique qui est responsable de l’état dépressif ou l’inverse », admet-il.
Pour la suite de ses recherches, le chercheur inclura une troisième composante à ses analyses : les traits de caractère. «Je vais chercher à voir si le degré de curiosité, l’introversion ou la présence d’une certaine stabilité émotionnelle vont influer sur les choix musicaux et rendre les jeunes plus ou moins sujets à la dépression.»
Anne Fleischman
Collaboration spéciale