Édition du 8 septembre 2003 / volume 38, numéro 3
 
  Profession : souffleur de verre
Cédric Ginart est tout feu tout flamme pour son travail.

Cédric Ginart exerce une profession qui remonte à la nuit des temps et que la machinerie n'a pas réussi à remplacer.

Il tient d’une main un cylindre de pyrex auquel il applique un mouvement de rotation régulier sous la flamme incandescente du chalumeau ; de l’autre, il façonne l’objet rougeoyant qui s’étire comme de la guimauve grâce à l’air qu’il souffle dans un long tube relié à sa bouche. Peu à peu se dégage du verre une fiole au long col gracieux. La journaliste et le photographe de Forum en sont tout éblouis. Et pourtant, « c’est juste pour vous donner une idée de ce qu’on peut faire avec ce matériau », dit Cédric Ginart.

Ce Français d’origine qui souffle le verre au Département de chimie depuis trois ans assure l’élaboration de plans, la fabrication et la réparation d’instruments en verre à usage scientifique. D’autres équipes et laboratoires de recherche, notamment du Département de physique, de la Faculté de médecine et de l’École Polytechnique, font également appel à ses services. C’est que les chercheurs ont besoin d’outils très précis que la machinerie n’a pas encore réussi à fabriquer rapidement et avec autant de précision que la main humaine.

La plupart des pipettes, béchers et éprouvettes employés dans les laboratoires sont produits en industrie. Mais la fabrication de pièces complexes comme les rampes à vide est laissée aux soins du souffleur de verre. Son travail consiste aussi à tailler sur mesure toutes sortes de verreries pour les besoins particuliers des professeurs et des étudiants. « On peut lui demander presque n’importe quoi», affirme le professeur Davit Zargarian, pour qui le spécialiste vient de terminer une pièce thermostatée.

Pour Cédric Ginart, le seul souffleur de verre à l’Université de Montréal, c’est précisément cette absence de routine qui constitue l’intérêt de son métier. « Quand j’arrive le matin, je ne sais jamais à quoi m’attendre. Il n’y a pas deux journées pareilles. »

Il abandonne son sarrau

Diplômé de l’école Dorian, à Paris, le jeune homme de 28 ans façonne le verre au chalumeau depuis 10 ans. « C’est un travail très différent de celui des souffleurs de verre à vocation artistique qui, par exemple, doivent refroidir leurs pièces avant de les manipuler. Sinon, le verre peut craquer ou même se casser, souligne-t-il. Le soufflage au chalumeau exige au contraire de chauffer la partie qu’on veut transformer. »

Mais peu importe la technique utilisée, il est nécessaire de recuire les pièces de verre, c’est-à-dire qu’elles ne doivent être refroidies à la température ambiante qu’après être lentement passées par toutes les températures de refroidissement. « L’opération du recuit, explique Cédric Ginart, consiste à garder dans un four qu’on laisse refroidir très lentement le verre qui vient d’être fabriqué. De cette manière, toutes les parties de la pièce refroidissent simultanément, passant par les mêmes températures décroissantes, et il se crée ainsi un équilibre entre elles. »

Son métier est très exigeant sur le plan physique. Il lui faut en effet supporter de travailler dans un milieu « surchauffé » où les températures peuvent atteindre 1300 °C ! Heureusement, il n’a jamais été blessé gravement à ce jour. « Les petites brûlures, on ne les sent plus, dit-il. Dans ce métier, on développe une résistance. »

Cédric Ginart s’est intéressé au verre au cours de ses études universitaires de biochimie. « Quand je suis entré à l’université, il y avait dans le programme un cours obligatoire de soufflage du verre. J’ai eu le coup de foudre. » Il abandonne aussitôt son sarrau et s’inscrit dans une école spécialisée. Son engouement pour cette forme d’art ne s’est pas démenti depuis. Dans son atelier, il consacre même ses soirées et ses week-ends à la fabrication d’œuvres plus artistiques : insectes en cristal, lampes et coupes décoratives.

Une science et un art

Passer de la pratique d’une activité artistique au travail en milieu universitaire ne semble pas présenter de problème pour Cédric Ginart. Au contraire, l’un nourrit l’autre. D’ailleurs, il parle avec autant d’animation de la technique « à la canne » que de son secteur de prédilection, le soufflage au chalumeau. Cette approche est beaucoup plus utilisée dans le secteur de la recherche. « Le métier de souffleur de verre est depuis longtemps associé aux sciences. L’utilisation du verre dans ce domaine remonte en fait à la fin du Moyen Âge », affirme-t-il.

Preuve que le verre est un élément essentiel de l’outillage des laboratoires : au Québec, on compte un souffleur de verre dans presque chaque université alors qu’on en dénombre parfois deux et même trois dans les établissements français. Signe des temps, les appareils de recherche de plus en plus performants requièrent des instruments de plus en plus petits. Un doigté incroyable est ainsi nécessaire au souffleur de verre. Ce n’est donc pas demain la veille que la machinerie pourra remplacer la profession.

«Tant mieux!» lance Cédric Ginart, qui entend travailler pour l’Université de Montréal encore longtemps.

Dominique Nancy



 
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