Édition du 15 septembre 2003 / volume 38, numéro 4
 
  Le psychiatre de toutes les cultures
Le Dr Jose Adolfo Segura a fondé au CHUM un service d’ethnopsychiatrie.

Un homme qui croit qu’un sorcier lui a jeté un mauvais sort n’est pas nécessairement paranoïaque ou mythomane. Surtout si cet homme a grandi dans un pays où le culte et les traditions vaudous sont répandus. Malheureusement, selon le Dr Jose Adolfo Segura, la grande majorité des spécialistes de la santé mentale ne sont pas adéquatement formés pour traiter des patients dont les croyances ou la culture sont différentes de celles du monde occidental.

Ce psychiatre d’origine chilienne a fondé en 1999 le Service d’ethnopsychiatrie de l’Hôtel-Dieu du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Chaque année, il traite des dizaines d’immigrants aux prises avec des problèmes de santé allant des simples difficultés d’adaptation au pays d’accueil à la dépression majeure. Tout en demeurant à l’écoute de la souffrance de ses patients, le Dr Segura s’imprègne du cadre culturel dans lequel ceux-ci évoluent.

Étonnamment, les patients du Dr Segura sont rarement des personnes seules. Ce sont plutôt des familles entières qui le consultent. «Généralement, les immigrants ne sont pas individualistes comme on l’est en Amérique du Nord, explique le clinicien-chercheur. Lorsqu’un des leurs est malade, c’est toute la famille qui participe à la guérison.» C’est peut-être pour cette raison que le Dr Segura se déplace volontiers au domicile de ses patients plutôt que de se limiter à son cabinet de consultation.

Pour mettre au point son approche thérapeutique, le Dr Segura s’est inspiré des rites chamaniques des Mapuche, un groupe aborigène du sud du Chili. «Le chaman se rend chez le patient et construit un espace sacré à l’aide de branches. Lorsque la thérapie est terminée, les branches sont retirées et la vie reprend son cours normal», explique le psychiatre.

Il est bien sûr impensable d’ériger un abri semblable dans les maisons du Québec. Qu’importe! Le Dr Segura a élaboré un dispositif qu’il nomme «espace thérapeutique à la maison». En somme, il s’agit d’une nappe de plastique ronde qu’il installe dans une pièce de la maison pour la durée du traitement. Les thérapies durent, en moyenne, de 6 à 12 mois, à raison d’une rencontre toutes les trois ou quatre semaines.

Soucieux de respecter les occupants de la maison, le Dr Segura demande à ceux-ci de choisir la pièce dans laquelle l’espace thérapeutique sera aménagé. La pièce choisie varie selon la culture: salle à manger, cuisine, sous-sol, salon… Certaines familles préfèrent s’installer sur le plancher de la salle familiale. «La détermination d’un espace consacré à la thérapie me permet de conserver mon autorité de thérapeute. Autrement, lorsque la tension monte, la famille transforme le thérapeute en invité. On change de sujet, on me demande si je veux un café, du coup on ne peutplus travailler.»

Dessiner sa douleur

Au centre de l’espace thérapeutique, le Dr Segura dépose des cartons sur lesquels les membres de la famille dessinent. À travers les images et les mots, les participants parlent de leurs problèmes, de leurs émotions, de leur culture, de leurs croyances, de leur nostalgie vis-à-vis de leur pays d’origine, de leur perception du Québec, etc.

Récemment, les services d’ethnopsychiatrie offerts par le médecin ont grandement profité à une famille italienne. «Une adolescente éprouvait des problèmes de nature psychologique. Son père ne voulait pas l’envoyer consulter un spécialiste. Il était persuadé que sa fille était victime de la "fatura", un type de sorcellerie répandu dans le sud de l’Italie. Il pensait que la médecine ne servirait à rien.»

Se confier à un psychiatre qui respectait ses croyances a beaucoup aidé la famille. «Nous avons parlé du drame, mais aussi de leur venue au Canada et de leur adaptation au pays. Très souvent, quand les immigrants vivent un deuil, les peines qu’ils ont ressenties depuis leur départ et qu’ils n’ont jamais osé exprimer convergent. Il faut dénouer toutes ces émotions.»

Depuis l’intervention du Dr Segura, la jeune fille et toute la famille se portent mieux. «Je ne suis pas un guérisseur, mais je pense que je soulage beaucoup les familles», avance le médecin.

Une ouverture du milieu de la santé

Curieusement, le Dr Segura affirme ne pas avoir beaucoup voyagé au cours de sa vie. Mais il se documente comme s’il préparait un voyage chaque fois qu’il entame une nouvelle thérapie. Pour faire tomber les barrières linguistiques, le Dr Segura travaille avec des interprètes de la Régie régionale de la santé et des services sociaux. De plus, le Dr Segura compte une psychologue dans son équipe, à laquelle se joignent des étudiants en psychologie, anthropologie, médecine et psychiatrie. Après quatre ans de fonctionnement, le Service d’ethnopsychiatrie est encore jeune, mais les adeptes se font de plus en plus nombreux.

Chaque semaine, le Dr Segura offre des séminaires à des étudiants et à des professionnels de la santé. «Beaucoup de ces professionnels ont vécu une situation d’impasse lorsqu’ils ont été confrontés à la culture d’un patient immigrant. Ils veulent des outils pour pouvoir mieux traiter cette clientèle. Les professionnels de la santé apprécient surtout le séminaire Les instantanés ethnopsychiatries, qui a lieu le troisième mardi de chaque mois. On aborde la situation ensemble, selon les théories propres à la discipline. Je sens une grande ouverture de leur part.»

Dominique Forget

Collaboration spéciale



 
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