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Pierre Vadeboncœur |
C’est à Pierre Vadeboncœur que la rédaction de la revue
Études françaises a décidé d’offrir le prix qui porte son nom. «Ma réaction? La surprise», confie le lauréat au cours d’un entretien avec
Forum dans sa maison de la rue Ridgewood, sur le flanc du mont Royal. Le prix de la revue, qui est remis tous les deux ans, comprend la publication d’un manuscrit et une bourse de 5000 $.
Pour l’essayiste de 83 ans, cette récompense est d’autant plus inattendue qu’elle provient du milieu universitaire, dont il n’est pas un membre en règle. M. Vadeboncœur a étudié à l’Université de Montréal, mais il est diplômé de la Faculté de droit. S’il pratique le métier d’écrivain depuis un quart de siècle, il s’agit pour lui d’une deuxième carrière, entamée après son départ de la Confédération des syndicats nationaux, en 1975.
Le manuscrit du livre Le pas de l’aventurier, qui paraît simultanément aux Presses de l’Université de Montréal, est né d’une réflexion sur la décision irrévocable prise par Rimbaud d’arrêter d’écrire à l’âge de 20 ans. «Je ne m’occupe plus de ça!» affirme le jeune poète au moment d’abandonner la plume. Une phrase qui a eu un vif effet sur M. Vadeboncœur.
Dans son style caractéristique, l’essayiste a produit une analyse littéraire à la fois légère et rigoureuse. «Je m’aperçois que je me suis mis récemment à lire Rimbaud par curiosité intellectuelle, écrit-il, une curiosité toute spéciale, portant sur l’intime sens qu’il me paraît avoir eu de l’inauthenticité inévitable du langage.»
De la décision de Rimbaud, il écrit que «jamais, dans l’art, dans le milieu de l’art, un jugement aussi catégorique n’est tombé sur l’art». Puis: «Rimbaud, en tant qu’artiste, s’est posé une question définitive et il l’a posée. Il y a répondu comme quelqu’un qui va tout entier par en avant et ne veut rien esquiver. À sa propre question, il a répondu par des faits, des faits ne permettant pas de retourner à des valeurs quittées, tenues maintenant pour de la fausse monnaie.»
Au cours de sa vie, Pierre Vadeboncœur s’est beaucoup intéressé aux arts visuels, mais il n’est pas, de son propre aveu, un lecteur de poèmes. «Habituellement, mes sujets de livres sont imposés par mes propres préoccupations. Cette fois-ci, j’ai décidé d’écrire un livre sur Arthur Rimbaud après avoir lu une biographie du poète. C’était la première fois que je consacrais un ouvrage à un seul auteur.»
Un essayiste majeur
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Le manuscrit du livre Le pas de l’aventurier est né d’une réflexion sur la décision irrévocable prise par Rimbaud d’arrêter d’écrire à l’âge de 20 ans. |
Pierre Nepveu, qui a dirigé la revue littéraire jusqu’au mois de juin dernier et qui a donc présidé aux délibérations du jury, place Pierre Vadeboncœur parmi les essayistes majeurs du Québec moderne. «
La ligne du risque, qu’il a publiée en 1963, l’a immédiatement fait connaître comme auteur. Mais il a signé depuis plusieurs ouvrages importants. Aujourd’hui, on n’enseignerait pas l’essai québécois contemporain sans tenir compte de son œuvre.»
Pour ce professeur au Département d’études françaises, il est faux de croire que ce sont les universitaires qui définissent l’essai au Québec. Au contraire, de nombreux non-universitaires se sont fait un nom comme essayistes sans occuper de poste de professeur; qu’on pense au frère Untel, à Jean Lemoyne, à Suzanne Jacob ou à Lise Bissonnette. Le prix de la revue Études françaises, décerné depuis 1968, en est une démonstration éloquente, estime M. Nepveu. Parmi les lauréats, on trouve des noms comme Ahmadou Kourouma, Édouard Glissant, André Major, Fernand Ouellet, Suzanne Jacob et Jean-Yves Soucy. L’attribution de ce prix à Gaston Miron, en 1970, a lancé la fulgurante carrière de L’homme rapaillé.
Écrire avec émotion
Pour Pierre Vadeboncœur, en tout cas, l’écriture est toujours une affaire d’émotion. «Je n’ai jamais écrit qu’avec mes émotions, affirme-t-il. Même des essais, même des analyses; les émotions étaient au centre de ma motivation.»
Exceptionnellement, une cérémonie officielle de remise du prix est prévue dans le Hall d’honneur du Pavillon principal à l’occasion du 125e anniversaire de l’établissement, le 28 octobre prochain.
Mathieu-Robert Sauvé