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Jean-Yves Lasalle |
La violence dans les stades d’Europe et sur le terrain de jeu a donné naissance à une nouvelle discipline: le droit pénal du sport. Pour Jean-Yves Lasalle, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et chercheur invité par le Centre international de criminologie comparée de l’UdeM, il était temps. «Il faut le dire: le sport n’est plus la santé, a-t-il affirmé au cours d’un débat-midi tenu récemment à l’École de criminologie. Sans parler de dopage et des différentes formes de tricherie, la violence délictuelle entre les partisans et entre les sportifs eux-mêmes a enlevé beaucoup d’éclat aux vertus du sport.»
Le profil du casseur type s’est précisé depuis que des chercheurs se sont penchés sur la question. Il s’agit le plus souvent d’un garçon qui traverse une période difficile (décrochage, chômage) et qui a déjà eu recours à des gestes violents pour s’affirmer. De plus, ces fauteurs de troubles ont complètement occulté l’aspect ludique des compétitions sportives. Pour eux, la confrontation n’a de sens que si elle mène à la victoire. «Le meneur d’un groupe de partisans violents est âgé de 20 à 30 ans. Il est soutenu par un noyau dur d’une trentaine de personnes, fortement enracinées dans la violence», a relaté M. Lasalle.
On trouve aussi, dans ces regroupements, une série de caractères proches de ceux des organisations sectaires: rituels d’initiation, langage commun, usage de psychotropes, idéologie (qui peut tendre vers l’extrême droite). M. Lasalle signale au passage que le vocabulaire des commentateurs sportifs, trop souvent emprunté aux conflits armés, a pu contribuer à la dissipation du franc-jeu. «Les explications théoriques foisonnent pour rendre compte de ce phénomène, mentionne M. Lasalle. On a parlé de la commercialisation à outrance du sport professionnel, de la vulnérabilité sociale des partisans, des familles éclatées. On a dit aussi que le sport était une machine à broyer des corps.»
Loi et respect des règles
Lui-même grand amateur de foot, M. Lasalle a vu son frère frôler la mort lorsqu’un joueur adverse lui a asséné un coup de pied qui lui a perforé le foie. La famille a intenté un procès qu’elle a gagné en première instance puis perdu en appel. Il semble que la loi ne s’applique pas de la même façon selon qu’on se trouve au milieu d’un terrain de football, avec des dizaines de témoins (sinon des millions), ou sur un trottoir. «Les cas de poursuite sont très rares, mentionne le chercheur. Et le juge semble avoir une grande marge de manœuvre sous prétexte que les joueurs acceptent les règles du jeu.»
Sur un terrain de soccer ou une patinoire, un joueur est puni quand il enfreint les règles du jeu. Mais quand la faute entraîne des blessures sérieuses, voire la fin prématurée d’une carrière, il peut sembler étonnant que les poursuites au civil ou au criminel ne soient pas plus courantes.
En criminologie, la violence liée aux sports a ses limites et ses caractéristiques propres. Elle diffère totalement du terrorisme, du vandalisme ou de la criminalité contre les foules par exemple. Les grands stades européens ont d’ailleurs réagi aux échauffourées en multipliant les contrôles aux tourniquets et le nombre d’agents de surveillance. On trouve même des caméras vidéo qui balaient la foule à la recherche d’éléments perturbateurs. Résultat: les affrontements se sont déplacés dans les bars qui diffusent les matchs.
Le soccer plus violent?
Certains sports sont plus propices que d’autres à la violence entre les joueurs. Le soccer et le hockey, notamment, donnent lieu à de violentes bagarres alors que la brutalité est presque inexistante au volley-ball, au tennis ou au baseball. Un paradoxe: le rugby. Tous les éléments sont réunis pour engendrer de la violence, et pourtant ce sport demeure relativement pacifique tant dans les gradins que sur le gazon. «C’est l’encadrement qui a fait la différence, estime M. Lasalle. Je crois que les fédérations sportives ont fait leurs devoirs.»
Somme toute, le phénomène de la violence dans les gradins semble plus confiné au soccer. «Toutefois, a mentionné un participant au débat-midi du 24 septembre, les amateurs de hockey et de football américain sont très semblables aux amateurs de football anglais. Les foules sont similaires, les partisans boivent autant de bière, et ce sont des sports de contact. Pourquoi y constate-t-on moins de violence parmi les spectateurs?»
Le conférencier n’avait pas de réponse à cette question. Mais il a fait remarquer que les joueurs professionnels faisaient preuve de plus de loyauté que les amateurs, surtout depuis que le règlement du carton jaune a été instauré dans les années 80. En vertu de ce système, l’arbitre peut donner un avertissement avant d’annoncer un carton rouge, signifiant l’expulsion du match en cours et l’exclusion du suivant. Aussi, les professionnels se respectent généralement entre eux, car ils se considèrent presque comme des collègues de travail. «Dans les ligues mineures, pas un match ne se déroule sans que les décisions de l’arbitre soient contestées. Il existe une tension constante; on rapporte souvent des altercations entre les spectateurs et entre les joueurs. J’avoue que je suis craintif chaque fois que je vois mon fils partir jouer son match de foot.»
Les débats-midi de l’École de criminologie ont lieu chaque mois et constituent une occasion d’échange sur des thèmes de recherche de professeurs et étudiants en criminologie. Le prochain débat se déroulera le 22 octobre et réunira Arlène Gaudreault et Johanne Vallée autour du thème «Les victimes face au système correctionnel: un autre chemin de Damas». L’entrée est libre.
Mathieu-Robert Sauvé