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Jean-Pierre Béchard pense que la clé de la pédagogie, c’est l’innovation. |
Dans un cours de la Faculté de pharmacie, les étudiants doivent incarner respectivement un médecin, un pharmacien, le patient, son conjoint ou un stagiaire. Dans d’autres cours, l’apprentissage se fait par «intranet facultaire» et chaque professeur dispose d’une boîte aux lettres interactive où des documents sont ajoutés, retirés ou modifiés à volonté. Ces nouvelles technologies de communication intégrées à l’enseignement semblent convenir aux étudiants puisque 9 étudiants sur 10 ont répondu positivement à un sondage sur la question.
Ces innovations pédagogiques de Jean-Louis Brazier et Patrice Hildgen, professeurs à la Faculté de pharmacie, ont été présentées au plus récent congrès du Centre d’études et de formation en enseignement supérieur (CEFES), qui s’est tenu le 17 octobre dernier. Près de 150 personnes de différentes disciplines avaient convergé vers le Pavillon Claire-McNicoll à l’occasion de cette rencontre. Les sciences de l’éducation étaient à l’honneur, mais on trouvait aussi des pédagogues issus des sciences biologiques, de médecine vétérinaire et des sciences de la santé.
Pour Jean-Pierre Béchard, qui a prononcé la conférence de clôture, tous les professeurs ont leur petit truc pour aider à faire passer leur matière. Mais certains ont décidé d’aller plus loin et leur apport est essentiel dans un département en raison de l’effet d’entraînement. Il les appelle les innovateurs pédagogiques. Leur cheminement diffère sensiblement de celui des professeurs dits classiques, dont le parcours est linéaire, et même des professeurs exemplaires, dont la carrière atteint des sommets au-dessus de la moyenne. «Le professeur innovateur connaîtra des hauts et des bas. Normal: il essaie des choses. Forcément, il se trompe», a-t-il expliqué.
Innover «un fusil sur la tempe»
Professeur agrégé à HEC Montréal, M. Béchard dirige l’Observatoire des innovations pédagogiques en gestion de cette école, qui cherche à souligner les expérimentations pédagogiques les plus novatrices dans l’enseignement de la gestion à Montréal et ailleurs dans le monde. «Pour remplir sa mission, l’Observatoire […] travaille selon trois axes: la vigie, la formation et la production en matière d’innovations pédagogiques» peut-on lire sur son site Web.
Au cours de ses recherches sur les professeurs innovateurs, il a constaté que ceux-ci pouvaient enrichir considérablement les milieux d’enseignement, même si cela pouvait être au détriment de leur propre carrière. «Le réflexe de l’innovateur est souvent d’aller dans une direction opposée à celle qui est empruntée par le plus grand nombre. Par conséquent, il peut avoir une tendance à la délinquance, au refus de l’autorité. Il dira: "Je n’ai pas le droit? Allons-y." Cela risque de nuire à son avancement.»
Le système de promotion, dans les universités, ne tient pas suffisamment compte des compétences pédagogiques, estime M. Béchard. Les jeunes professeurs peuvent avoir tendance à attendre leur titularisation avant de prendre des risques. Ou encore on les incitera à avoir de bonnes idées rapidement, dont on pourra mesurer sans tarder les effets. «Cela revient à innover… un fusil sur la tempe!»
Affirmant dans son introduction qu’il était ravi de rencontrer dans une salle des dizaines de professeurs aussi passionnés que lui par la pédagogie, M. Béchard a dénoncé l’attitude des autorités universitaires à l’égard de cette question. La qualité de l’apprentissage peut pourtant représenter un avantage concurrentiel considérable dans le «marché» actuel de l’enseignement universitaire, a-t-il défendu. «Autrefois, on ne s’intéressait pas à ce que faisaient les autres universités pour attirer la clientèle. Aujourd’hui, la compétition est féroce.»
L’innovation en pédagogie, ça demande plus d’idées que de moyens, soutient-il. La preuve, à HEC Montréal, on exige des étudiants qu’ils maîtrisent une panoplie d’outils informatiques; ils doivent s’acheter un ordinateur portable, notamment. Mais on sent «un essoufflement» sur le plan de l’enseignement. Preuve que technologie n’est pas nécessairement synonyme de pédagogie.
Mathieu-Robert Sauvé