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La Dre Jocelyne Brault travaille quotidiennement avec des hommes et des femmes considérés comme dangereux. |
Dans la nuit du 11 au 12 octobre 2000, à Omerville, en Estrie, la femme de Pierre Larochelle lui annonce qu’elle le trompe avec leur meilleur ami. Elle donne des détails. C’en est trop pour cet homme déjà au bord de la dépression. Il écrit une lettre pour annoncer aux proches que le couple part en voyage. Puis il assassine sa conjointe et tente de se suicider. Il rate son coup. Il devra répondre de ses actes devant la justice.
Durant le procès, les jurés sont amenés à trancher entre deux positions: celle du meurtrier en pleine possession de ses moyens ou celle du criminel passionnel qui a eu un moment de folie. «Pierre Larochelle était-il ou non conscient des gestes posés? La Couronne soutenait mordicus OUI, la défense soutenait mordicus NON. C’est autour de cette question que s’est déroulé le procès», écrit le journaliste de La Tribune Pierre Saint-Jacques.
Pour éclairer le jury, trois médecins spécialisés en psychiatrie légale ont présenté des rapports sur l’état de santé de l’accusé. Deux défendaient la thèse du geste prémédité, un le contraire. Comment rédige-t-on de tels rapports? Le spécialiste sent-il le poids de la responsabilité sociale lorsqu’il sait qu’il sera cité par les procureurs dans un procès criminel? «Les psychiatres n’assument pas la responsabilité légale, explique la psychiatre Jocelyne Brault. Ils sont là pour donner un rapport clinique sur l’accusé: souffre-t-il d’une maladie mentale et est-il apte ou non à subir son procès? Si la réponse à cette dernière question est négative, il n’est pas remis en liberté. Il sera hospitalisé et subira un traitement jusqu’à ce qu’il soit considéré en mesure de retourner en cour.»
Sentiment de sécurité
De tels rapports, la Dre Jocelyne Brault en rédige une cinquantaine par année. Responsable de l’enseignement à l’institut Philippe-Pinel, affilié à l’Université de Montréal, elle partage son temps entre l’enseignement et les activités cliniques. Non seulement elle aime son travail, mais elle n’entretient aucun sentiment d’insécurité dans l’exercice de ses fonctions. «L’institut Philippe-Pinel est un endroit très sécuritaire; je ne suis jamais seule avec un patient et le personnel est toujours très avisé. Je suis prévenue, par exemple, lorsqu’un patient est agité et représente un danger. En six ans, je n’ai jamais été agressée. J’ai reçu une ou deux menaces, pas plus.»
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À titre de responsable de l’enseignement, elle organise les stages en milieu de travail pour les criminologues et les résidents en psychiatrie. Ses fonctions l’amènent aussi à organiser des colloques, dont le plus récent, avec le professeur Donald Meichenbaum, portait sur les chocs post-traumatiques (voir Forum, numéro 5, 22 septembre 2003).
Coresponsable de l’unité mixte de l’institut, qui compte 18 lits, elle examine régulièrement des patients qui, quelques heures plus tôt, ont commis des voies de fait ou même un meurtre. «Le cas typique? Une personne qui, à la suite d’une agression, a été arrêtée durant la nuit, a passé quelques heures en prison et nous arrive le matin. Souvent elle est encore en état de crise.»
Bien entendu, les hôpitaux ne sont pas tous conçus pour recevoir des criminels dangereux et c’est pourquoi on trouve des établissements à haute sécurité comme l’institut Philippe-Pinel. On n’y entre pas comme dans un hôpital de quartier; tout visiteur doit avoir rendez-vous et laisser une pièce d’identité au gardien de sécurité avant que celui-ci l’autorise à franchir le sas (avec un accompagnateur). Ici, quelque 275 patients sont hospitalisés. Tous ont eu des démêlés avec la justice et sont considérés comme dangereux.
De Charles-Lemoyne à Pinel
La Dre Brault a connu ce qu’on appelle une vocation tardive. «Je n’avais pas réellement prévu de me retrouver dans un hôpital comme celui-ci, explique-t-elle. Je ne pourrais pas vous dire précisément ce que j’aime dans mon travail, à part l’enseignement. Je me sens utile, certainement.»
Médecin depuis 1986, Jocelyne Brault a travaillé plusieurs années en pédopsychiatrie puis en psychiatrie adulte à l’hôpital Charles-Lemoyne, sur la rive sud de Montréal, avant d’atterrir à l’institut Philippe-Pinel. Selon elle, la relève se porte bien en psychiatrie légale. On compte ici une vingtaine de stagiaires postdoctoraux, en plus d’une douzaine de stagiaires en criminologie et environ autant en sciences infirmières.
Mathieu-Robert Sauvé