|
Sylvie Rocque |
Quoi de plus simple que d’acquitter la facture de quelques menus objets au dépanneur du coin? Pour les personnes atteintes de déficience intellectuelle, cette simple opération ouvrant la voie à une certaine autonomie est impossible à maîtriser parce que les fonctions symboliques sous-jacentes à la monnaie sont hors de leur portée.
Mais le groupe de recherche Défi apprentissage est parvenu à mettre au point des stratégies simples et efficaces permettant à ces personnes de comprendre et de franchir avec succès les étapes du paiement. Les travaux du groupe ont mené à la production d’un outil multimédia qui a donné des résultats positifs chez 100 % des enfants auprès de qui il a été testé.
Pour y arriver, il a toutefois fallu plus de 13 ans de recherche sur les troubles d’apprentissage et les moyens à mettre en place pour les surmonter.
Gros 5 ¢ et petit 10 ¢
Les enfants atteints de déficience intellectuelle – c’est-à-dire dont le QI est inférieur à 70 – mettent des années à apprendre que deux, c’est plus que un et que gros, c’est plus que petit. Comment alors leur faire comprendre que deux pièces de 5 ¢ valent la même chose qu’une seule pièce de 10 ¢ qui, par surcroît, est plus petite que les pièces de 5 ¢?
Voilà le genre de problème auquel faisaient face Jacques Langevin et Sylvie Rocque, professeurs au Département de psychopédagogie et d’andragogie et concepteurs du cédérom Payer? Facile!
|
Jacques Langevin |
Les deux chercheurs se sont aperçus qu’on faisait fausse route en cherchant à enseigner à ces enfants handicapés intellectuellement les bases du calcul ou les notions relatives à l’argent. «L’abstrait et le symbolique leur échappent totalement, affirme Jacques Langevin. Leur retard d’apprentissage ne sera jamais comblé parce qu’il est dû à une déficience grave du développement cognitif. Après 16 ans de scolarité, ils demeurent totalement analphabètes.»
Dans l’esprit du professeur, l’alphabétisation inclut non seulement le fait de savoir lire et compter, mais aussi celui de savoir gérer son temps, ses déplacements et son argent, chacune de ces habiletés étant nécessaire à l’autonomie. Le groupe Défi apprentissage poursuit des travaux autour de ces cinq habiletés, mais c’est dans le domaine de la gestion de l’argent qu’il est le plus avancé parce que les obstacles sont ici moins nombreux.
«En maîtrisant la gestion quotidienne de l’argent, l’enfant pourra aussi faire les apprentissages liés aux achats, comme aller de lui-même au dépanneur, choisir le commerce ou décider du produit», souligne le professeur Langevin. Le succès de l’approche qu’il a mise au point repose sur la simplification de la tâche à accomplir. «La tâche n’est pas de savoir compter des pièces de monnaie mais de réussir à payer», précise-t-il.
Stratégie des 1 $
Les stratégies élaborées sont propres aux besoins de chaque âge. L’un des procédés adaptés aux enfants de 9 à 12 ans (groupe à qui est destiné le cédérom Payer? Facile!) est la stratégie des 1 $ et vaut pour des montants inférieurs à 10 $. L’enfant dépose ses achats sur le comptoir et surveille le prix affiché à la caisse; il donne le même nombre de pièces de 1 $ que le chiffre apparaissant avant le point et ajoute une autre pièce s’il y a des chiffres autres que des zéros après le point. Il attend sa monnaie, fait comme s’il s’assurait que le compte est bon, et replace le tout dans le compartiment approprié de son porte-monnaie.
Des procédés semblables, basés sur le billet de 10 $, ont été élaborés pour les adolescents et les adultes afin de leur permettre des achats allant de 10 à 100 $.
Après plusieurs mises à l’essai, les chercheurs ont testé leur matériel auprès de parents qui n’avaient reçu aucune formation particulière pour l’utiliser. «Après 12 semaines, à raison de trois séances de 20 minutes par semaine, les 65 enfants concernés par l’expérience étaient tous capables de faire un achat dans un commerce inconnu», affirme Jacques Langevin.
Même si la stratégie nécessite un minimum de gestion de la part des parents ou encore une complaisance certaine de la part du caissier, ce serait là, selon le professeur, une première mondiale: aucun autre procédé n’aurait jusqu’ici permis à des enfants déficients intellectuels d’acquérir rapidement une habileté essentielle à l’autonomie à un âge où cette habileté est normalement acquise par les enfants sans déficiences.
Les retombées de cette approche pourraient être importantes puisque environ 1,6 % de la population – soit 110 000 personnes au Québec et 500 000 au Canada – souffrirait de déficience intellectuelle plus ou moins prononcée. Leur manque d’autonomie représente des coûts sociaux et économiques substantiels.
Le cédérom, produit par la maison Kaleidos Multimedia, sera adapté et traduit par plusieurs pays européens et aura une version américaine. Le groupe Défi apprentissage travaille par ailleurs à appliquer cette approche à la lecture et à la gestion du temps.
Daniel Baril