C’est bien connu: les hommes préfèrent la chasse et les femmes le magasinage. Alors que les théories dominantes en sciences sociales tentent d’expliquer ce genre de différences par la socialisation des rôles, Isabelle Écuyer-Dab se situe résolument à contre-courant en proposant une explication fondée sur les lois darwiniennes de la sélection sexuelle.
Ses travaux de doctorat, dirigés par la professeure Michèle Robert du Département de psychologie, lui ont valu le prix de la Faculté des études supérieures pour la meilleure thèse dans le domaine des sciences sociales en 2002. Le jury a souligné la qualité exceptionnelle et l’originalité de cette recherche, qui se situe au carrefour de la psychologie cognitive, de la paléoanthropologie et de l’ethnologie. Sa thèse tient en fait de la psychologie évolutionniste.
Déplacements et reproduction
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Isabelle Écuyer-Dab |
La contribution d’Isabelle Écuyer-Dab à cette nouvelle discipline est d’avoir clarifié un débat opposant la théorie de la sélection sexuelle à celle de la cueillette et de la chasse dans l’explication des différences d’habiletés visuospatiales des hommes et des femmes.
Ces différences concernent notamment le sens de l’orientation, la mémorisation des repères visuels, les projections de formes dans l’espace ou encore l’importance et l’étendue des déplacements (voir l’encadré). On sait par exemple que les hommes réussissent mieux que les femmes à reconnaître des figures présentées sous divers angles, alors que les femmes mémorisent mieux que les hommes l’emplacement des objets.
Une hypothèse évolutionniste explique ces différences par les fonctions de chasse et de cueillette remplies par les hommes et les femmes de notre espèce ancestrale. Les habiletés grâce auxquelles les hommes performent paraissent en effet indispensables à la chasse et aux déplacements sur de grandes distances alors que celles des femmes semblent tout aussi adaptées à la cueillette et aux déplacements sur de courtes distances.
L’hypothèse de la sélection sexuelle attribue pour sa part ces différences aux rôles tenus, chez presque tous les mammifères, par le mâle et par la femelle dans la reproduction. Comme la femelle porte les petits et allaite, elle sera moins encline aux longs déplacements, qui présentent des risques pour sa progéniture. Des habiletés propres à faciliter les repères proximaux lui seront bénéfiques. Puisque les mâles doivent pour leur part rivaliser avec leurs congénères pour la reproduction (les femelles étant moins disponibles), des habiletés relatives au combat et aux déplacements sur de grandes distances leur seront utiles.
Hormones sexuelles
Selon Isabelle Écuyer-Dab, c’est la sélection sexuelle qui aurait été le premier et le plus déterminant des deux moteurs.
«La théorie de la cueillette est incapable d’expliquer pourquoi les différences intersexes en question sont plus grandes après la maturité sexuelle, souligne-t-elle. Cette théorie n’explique pas non plus pourquoi les habiletés spatiales des femmes sont encore moins grandes au moment de l’ovulation et de la grossesse.»
Selon la théorie de la sélection sexuelle, ces deux faits sont dus aux hormones sexuelles et l’avantage adaptatif est l’évitement de risques inutiles liés à la fécondité, à la grossesse et à l’allaitement.
De plus, il existe déjà une différenciation sexuelle dans le lancer d’objets chez les chimpanzés: les mâles adultes lancent des pierres et des bâtons au cours de combats avec d’autres mâles, mais ils ne le font jamais lorsqu’ils chassent une proie.
Selon Isabelle Écuyer-Dab, ce fait appuie l’idée selon laquelle les habiletés balistiques à l’œuvre dans les activités de chasse relèvent d’habiletés visuospatiales d’abord retenues pour leur utilité dans la compétition intermâle. «Ce n’est que plus tard dans l’évolution de l’espèce humaine que ces habiletés ont été utilisées pour la chasse», affirme-t-elle.
Quant aux femmes, le type de repérage visuel développé particulièrement pour des déplacements limités dans l’espace leur sera utile dans les activités de cueillette. Ceci serait d’ailleurs observable chez les chimpanzés: les femelles s’adonnent davantage à la cueillette que les mâles, alors que les rares activités de chasse sont le lot des mâles.
Les travaux d’Isabelle Écuyer-Dab seront publiés dans un numéro en préparation de la revue de psychologie Cognition.
Daniel Baril
Testostérone et mémoire spatiale |
Dans un labyrinthe, les hommes mémorisent leur chemin plus rapidement que les femmes et démontrent un meilleur sens de l’orientation. Les femmes recourent par ailleurs davantage que les hommes aux repères visuels pour retenir leur chemin.
À 50 ans, cette différence intersexe s’estompe: si les hommes continuent de faire preuve d’un meilleur sens de l’orientation (savoir où ils se trouvent dans le labyrinthe par rapport à l’entrée), ils se servent tout autant que les femmes de repères visuels pour mémoriser leur chemin et cette mémorisation est moins rapide qu’auparavant. Les femmes demeurent tout aussi performantes après 50 ans.
C’est ce qu’a observé Isabelle Écuyer-Dab dans ses recherches postdoctorales, qu’elle poursuit actuellement au Centre de recherche de l’Institut de gériatrie de Montréal, affilié à l’UdeM.
«Nous voulions savoir si la baisse de performance dans les habiletés spatiales était corrélée avec la chute des hormones sexuelles», explique-t-elle. Les résultats préliminaires recueillis auprès de 150 sujets hommes et femmes âgés de 20 à 80 ans et chez qui l’on a mesuré le taux d’hormones semblent confirmer l’hypothèse. Du même coup, ils étayent l’hypothèse de la sélection sexuelle comme source lointaine de ces habiletés.
«On sait que l’hippocampe joue un rôle dans la mémorisation spatiale et qu’il est un site privilégié pour la testostérone. Si le déclin de la mémorisation spatiale est plus grand chez les hommes, c’est parce que leur taux de testostérone chute après 50 ans.»
Le maintien du sens de l’orientation indiquerait par ailleurs que cette habileté relève de circuits neuronaux distincts. «Une fois que la carte de l’orientation est acquise, elle demeure fonctionnelle et les hommes peuvent toujours s’y référer même si la mémoire spatiale diminue», observe la chercheuse.
D.B. |