Édition du 17 novembre 2003 / volume 38, numéro 12
 
  Manipuler les objets en microgravité
Le professeur Allan Smith étudie l’importance de la sensibilité tactile dans les situations d’apesanteur.

Allan Smith a beaucoup apprécié ses quelques minutes en microgravité. On le voit ici accompagné de son collaborateur, Jean-Louis Thonnard.

Au cours d’un vol dans la navette spatiale, l’astronaute canadien Chris Hatfield a voulu desserrer un boulon avec une clé, mais, en donnant un coup sec, c’est lui qui a pivoté autour de la clé, et le boulon est demeuré immobile.

Cet exemple démontre que des gestes tout bêtes ne sont pas les mêmes en apesanteur que sur le plancher des vaches, où la force de la gravité et la force de friction régissent nos moindres mouvements. Dès notre naissance, le cerveau s’applique à composer avec la force de 1 g qui nous attire inexorablement vers le centre de la Terre. «Quand vous soulevez un objet dans les airs, explique Allan Smith en levant sa tasse de café, vous déployez un effort considérable au début du mouvement, puis la force est presque nulle lorsque l’objet atteint sa hauteur maximale. Même chose lorsque vous le déplacez de gauche à droite. C’est très différent en apesanteur, où la force doit être constamment rectifiée.»

De retour de mission à bord d’un Airbus converti en laboratoire volant, le professeur Smith analyse actuellement les données recueillies auprès de six sujets de recherche qui ont effectué diverses manipulations en microgravité. «Nous avons encore beaucoup de travail d’analyse à faire, mais nos observations semblent confirmer certains de nos résultats précédents sur l’importance de la sensation tactile dans le mouvement des mains», explique le spécialiste.

Le but de la mission, financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, était de mieux connaître les mécanismes de la manipulation d’objets en apesanteur. «Cette expérience pose la question de la sensibilité tactile minimale nécessaire pour adapter les forces de préhension normalement utilisées en situation de 1 g», explique le chercheur dans sa présentation du projet.

L’information est dans la peau

Depuis quelques années, les travaux d’Allan Smith soulignent le rôle de la peau dans l’échange d’information entre le bout des doigts et le système nerveux. Lorsqu’un cuisinier tient un œuf entre le pouce et l’index, le cortex cérébral envoie des ordres très précis aux muscles afin que les doigts déploient un effort suffisant mais non excessif: l’œuf doit être tenu avec fermeté mais non être cassé.

Or, si le professeur Smith est un pionnier dans l’étude des échanges nerveux entre le cerveau et la main, il est venu tardivement à l’étude de la sensibilité tactile. «Il peut sembler trivial que quelques centimètres carrés de peau aient une telle importance; pourtant ce fait a une portée essentielle, en réadaptation notamment.»

Au cours des dernières années, il a testé ses hypothèses en laboratoire. Un des protocoles consistait en l’injection d’un anesthésiant local sur le bout des doigts des sujets afin de leur enlever toute sensation tactile. «En 15 manipulations, le sujet a échappé son objet ou celui-ci lui a glissé des doigts une fois sur deux. C’est énorme…

L’expérience en microgravité s’avère utile afin de comprendre comment les astronautes appelés à vivre des périodes prolongées dans l’espace devront se préparer à manipuler les objets. Mais pas question cette fois de sortir la seringue pour piquer les sujets de recherche. «Nous nous sommes contentés d’installer des capuchons sur les doigts des participants. De plus, des caméras captaient les mouvements de leurs yeux afin d’observer si la vision prenait le relais.»

On avait demandé aux volontaires de tracer un huit avec l’objet. La prochaine étape consistera à effectuer des mouvements plus précis, par exemple insérer une clé dans une serrure. Les agences spatiales s’intéressent beaucoup à ce type de travaux pour la formation de leurs astronautes.

Laboratoire volant

Le bout des doigts joue un rôle majeur dans la préhension, explique Allan Smith.

Le chercheur n’a pas eu à attendre le redémarrage du programme de navettes spatiales pour mener à bien ses expériences. Il a profité de la collaboration de Jean-Louis Thonnard, de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, pour prendre place dans un Airbus 300 de la European Space Agency. Cet avion sert d’habitude à l’entraînement des astronautes, mais il accueille aussi très souvent des scientifiques. Dans le cadre des expériences des chercheurs belges et canadiens, 11 autres équipes avaient pris le départ.

En s’élevant à 45° et en piquant subitement vers le sol, l’engin provoque une situation de microgravité d’une vingtaine de secondes au sommet de la courbe. «Il vaut mieux avoir l’estomac solide, car l’avion répète environ 30 fois cette manœuvre à chaque vol», mentionne le professeur Smith. Lui-même appréhendait quelque malaise et il se réjouit d’avoir «bien fait ça»!

Le professeur du Département de physiologie de la Faculté de médecine était accompagné d’un de ses étudiants, Jean-Sébastien Langlais. Ils sont montés dans le laboratoire volant entre les 16 et 18 octobre dernier. Le professeur Smith a pris part à deux vols et son étudiant à un troisième. Les chercheurs ont pu mener des expériences auprès de six sujets.

Mathieu-Robert Sauvé



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement