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Daniel Gaudet |
Il viendra peut-être le jour où, après avoir inséré votre carte génétique dans le guichet automatique, vous entendrez une voix dire: «Si vous voulez connaître votre risque cardiovasculaire, faites le 1; pour savoir si vous êtes sujet à l’hypercholestérolémie familiale, faites le 2; pour le diabète, faites le 3.»
Ce scénario d’anticipation est de Daniel Gaudet, titulaire de la Chaire de recherche en génétique préventive et génomique communautaire, venu rencontrer les étudiants en pharmacie à l’occasion d’une conférence midi le 11 novembre dernier. Le généticien avait choisi de parler de pharmacogénétique, un concept novateur qui fait saliver bien des laboratoires pharmaceutiques actuellement.
Cette nouvelle science est plus facile à comprendre qu’elle en a l’air, a expliqué le conférencier. Lorsqu’une personne à la peau noire étendue sur la plage applique de la crème solaire avec un facteur de protection 10 plutôt que 30, elle procède sans le savoir à un traitement pharmacogénétique. «Le choix d’une crème solaire ou même d’un chapeau en fonction de notre sensibilité innée aux rayons solaires constitue une forme élémentaire de thérapie pharmacogénétique préventive», estime-t-il.
Bien entendu, celle-ci peut être plus raffinée. On peut imaginer un vaccin qui aurait des effets recherchés sur une population à risque et aucun sur les autres personnes. Ou encore un médicament qui serait prescrit uniquement à des groupes dont on sait qu’ils ne souffriraient pas de ses effets secondaires.
Selon le New York Times, environ 100 000 Américains meurent chaque année à cause d’un mauvais usage des médicaments. Le fait de mieux cibler la clientèle serait donc un atout.
Une science qui évolue vite
Les connaissances en génétique ont fait un bond spectaculaire depuis 15 ans. Nous devons cette accélération à la combinaison de l’informatique et de la biologie (la bio-informatique). «Certains tests pour lesquels il fallait débourser 300 $ en 1996 coûtent aujourd’hui 32 ¢, rapporte M. Gaudet. Grâce aux puces d’ADN qui contiennent d’immenses quantités de données, on peut s’attendre à d’autres développements dans le domaine.»
La pharmacogénétique peut nous en apprendre beaucoup sur les non-répondants aux traitements pharmaceutiques ou sur les individus qui sont intolérants aux traitements traditionnels. Elle permet l’étude de l’influence des facteurs génétiques sur l’efficacité et la toxicité du médicament, comme la compréhension des mécanismes d’action des médicaments chez une population cible.
Bref, la médecine en sort gagnante, mais les problèmes éthiques apparaissent rapidement: que feront les assureurs avec de tels renseignements? Que doit faire le médecin qui apprend que sa patiente en bonne santé (et par conséquent toute sa famille) est porteuse du gène de l’hypercholestérolémie familiale? Doit-il avertir de lui-même les autres membres de la famille?
M. Gaudet est bien placé pour parler de ces questions, car ce spécialiste de la composante génétique des maladies cardiovasculaires dirige depuis deux ans un vaste programme de recherche: Écogène-21. Pourquoi un tel nom? Éco renvoie à «écosystème» et 21 rend hommage à la Société des 21, un groupe de pionniers à l’origine de la population du Saguenay–Lac-Saint-Jean, en plus de faire référence au 21e siècle, qui sera vraisemblablement celui de la génétique. Financé par les Instituts de recherche en santé du Canada à raison de 3,2 M$, la Chaire s’inscrit dans un projet de recherche encore plus ambitieux qui totalise 6 M$ en cinq ans. «C’est certainement le projet de génétique communautaire le plus imposant actuellement au Canada, et même en Amérique du Nord», expliquait il y a deux ans à Forum le professeur Gaudet.
Pourquoi avoir installé un tel centre de recherche au Saguenay? Parce que la quasi-totalité des 300 000 habitants de la région viennent d’une souche de 300 personnes arrivées aux 18e et 19e siècles et faciles à retracer grâce aux archives généalogiques. Pour un généticien, c’est le paradis.
Succès des conférences midi
Quelque 275 étudiants en pharmacie s’étaient déplacés à l’amphithéâtre du Pavillon Claire-McNicoll pour assister à cette rencontre, organisée par l’Association des étudiants en pharmacie.
«C’est presque toujours comme ça, signalait fièrement l’un des organisateurs, François Turgeon, après la rencontre. Les gens apportent leur dîner et écoutent le conférencier dans une atmosphère détendue.»
Les conférences de l’Association, environ une dizaine par trimestre, portent sur des sujets variés. On a pu entendre un représentant de Pharmaciens sans frontières, puis un patient atteint d’un cancer venu expliquer son rapport avec les produits pharmaceutiques.
Mathieu-Robert Sauvé