Édition du 1er décembre 2003 / volume 38, numéro 14
 
  Les programmes d’accès à l’égalité n’atteignent pas leurs objectifs
La loi sur l’accès à l’égalité demeure nécessaire mais elle est insuffisante, selon Marie-Thérèse Chicha

Marie-Thérèse Chicha

Au Québec, 170 entreprises privées sont soumises, bon an, mal an, aux obligations de la loi sur l’accès à l’égalité en emploi. De ce nombre, à peine 27 (16 %) réussissent à atteindre ou à dépasser 50 % des objectifs d’embauche fixés par les programmes auxquels elles sont assujetties.

C’est ce qui ressort d’une étude de Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles, effectuée dans le cadre des travaux de recherche du centre interuniversitaire Immigration et métropoles, logé à l’UdeM.

«Ces résultats sont plutôt décevants, affirme la chercheuse. Pour la plupart des entreprises, la mise en place de programmes d’accès à l’égalité est un échec sur le plan quantitatif, bien que l’implantation de certains d’entre eux ait réussi. Si la situation a progressé depuis 2001, il y a toujours un manque de volonté politique dans l’application de ces programmes.»

La loi sur l’accès à l’égalité en emploi adoptée en 2001 oblige les entreprises privées de plus de 100 employés et qui reçoivent des subventions du gouvernement du Québec dépassant 100 000 $ à tenir compte, dans leur plan d’embauche, de la disponibilité de candidats issus de groupes sociaux défavorisés sur le marché du travail, soit les femmes, les autochtones, les minorités visibles et les handicapés. La disponibilité de cette main-d’œuvre est établie pour chaque type d’emploi à partir du recensement de 1996 et en fonction du bassin démographique régional.

Selon l’enquête de Mme Chicha, les principales raisons que donnent les employeurs pour expliquer l’échec des objectifs d’embauche sont le manque de force physique des femmes pour accomplir un travail dit «manuel» ou encore leur peu d’intérêt à l’égard de certains postes; quant aux minorités visibles, elles ne posséderaient pas les compétences nécessaires ou manifesteraient un faible intérêt pour des postes désignés.

«Si les entreprises qui sont obligées de répondre à des normes d’accès à l’égalité n’arrivent pas à intégrer cette main-d’œuvre, on peut douter que la situation soit meilleure dans les autres entreprises», s’inquiète la professeure.

Selon la loi, une entreprise qui ne respecte pas le programme d’accès à l’égalité dans son secteur ne pourra plus bénéficier de subventions gouvernementales tant qu’elle n’aura pas redressé sa situation.

Gaspillage de compétences

Marie-Thérèse Chicha s’est surtout intéressée aux conditions de réussite de ces programmes d’embauche en cherchant notamment à connaître les motivations des employeurs. «Le facteur déterminant est l’engagement de la haute direction dans la mise en place du programme», a-t-elle observé.

Un de ses étudiants au doctorat, Éric Charest, a pour sa part réparti les répondants de l’étude en trois catégories: ceux qui agissent uniquement pour satisfaire aux obligations légales, ceux qui considèrent les programmes d’accès comme une chance d’élargir leur marché et ceux qui y voient une possibilité d’augmenter leur productivité en diversifiant les compétences de leur main-d’œuvre.

Selon l’analyse de l’étudiant, 60 % des 170 entreprises québécoises concernées se situent dans le premier groupe, 22 % dans le deuxième et 18 % dans le troisième. «Ce sont les entreprises du troisième groupe qui réussissent le mieux à atteindre les objectifs, affirme-t-il. Plus elles voient dans les programmes la possibilité de varier les compétences de leur personnel, plus elles font d’efforts pour recruter des candidats des groupes ciblés par la loi sur l’accès à l’égalité.»

Des études américaines ont par ailleurs montré une corrélation entre la performance économique d’une entreprise et l’intégration d’une main-d’œuvre diversifiée. Et le Conference Board du Canada aurait affirmé que le pays gaspille ses compétences en n’intégrant pas adéquatement la main-d’œuvre immigrante.

Mme Chicha n’en doute pas. «Au sein des minorités visibles, le pourcentage de diplômés universitaires est de 19 % contre 12 % dans l’ensemble de la population», souligne-t-elle. Les femmes, quant à elles, représentent 60 % des admissions au premier cycle.

Selon la professeure, la loi sur l’accès à l’égalité en emploi est nécessaire mais insuffisante. «Il vaut mieux faire valoir le principe, déclare-t-elle. Nous sommes dans une économie du savoir et beaucoup de compétences demeurent inexploitées du côté des minorités très scolarisées. Il faut convaincre les employeurs qu’ils ont intérêt à diversifier leur main-d’œuvre.»

Pour sa part, Éric Charest poursuit ses travaux sur la motivation des employeurs en cherchant notamment à connaître quelles sont les conditions d’intégration des employés embauchés conformément aux programmes d’accès à l’égalité.

Daniel Baril



 
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