|
La table de travail de Guy Marchand est nécessairement très garnie: ordinateur, partitions et ouvrages sur Bach en constituent les éléments centraux. |
Les mathématiques et la musique ont toujours fait bon ménage. Pour composer, nombre de créateurs font appel à des équations leur permettant d’établir des règles, des structures, des rapports de proportions. Cet aspect fascinant de la fabrication d’une œuvre sonore, le musicologue Guy Marchand y a plongé tête baissée.
Chargé de cours occasionnel à la Faculté de musique et conférencier attitré à la Faculté de l’éducation permanente, M. Marchand déposait à l’Université en 1999 une thèse de doctorat sur les rapports entre la fugue centrale de la Suite en do mineur pour luth (BWV 997) et la monumentale Passion selon saint Matthieu, deux œuvres de Jean-Sébastien Bach. Effectuée sous la direction de Jean-Jacques Nattiez, la thèse était publiée au printemps dernier aux Éditions L’Harmattan et elle est maintenant accessible à tout lecteur curieux de cette exploration sous le titre Bach ou la Passion selon Jean-Sébastien.
«C’est le nombre d’or qui sous-tend cette relation microcosme-macrocosme, explique le musicologue. La Passion selon saint Matthieu, c’est le macrocosme, la plus grande œuvre de Bach, soutenue par des effectifs immenses, tandis que la suite pour luth est le microcosme, étant écrite pour la plus petite sonorité de la palette baroque. Or, on trouve dans la fugue de la Suite en do mineur pour luth le plus beau cas de nombre d’or, qu’on trouve également dans les deux grands chœurs qui encadrent la Passion selon saint Matthieu.»
Guy Marchand raconte avec enthousiasme sa découverte, faite en plusieurs étapes. Luthiste de formation, il entreprenait de jouer les suites pour luth du cantor de Leipzig à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance, en 1985. «Je me suis dit, à l’époque: pourquoi ne pas faire une maîtrise en musicologie, me donner un cadre strict pour faire une analyse approfondie des suites? C’est en analysant la fugue de la suite BWV 997 que j’ai découvert une espèce de double ou même de triple symétrie, c’est-à-dire le même groupe de mesures qui revenait à plusieurs reprises. C’est resté en suspens jusqu’à ce que, un jour, en fouillant dans la bibliothèque d’un ami, je mette la main sur un livre qui traitait du nombre d’or. Ça a été le déclic. De retour à la maison, il m’a fallu cinq minutes pour faire la vérification dans la partition. À partir de ce moment, je me suis mis à m’intéresser au nombre d’or.»
Aujourd’hui, l’étude de Guy Marchand fait figure de première monographie consacrée au nombre d’or dans l’œuvre de Bach. Divisé en trois parties, l’ouvrage s’adresse au spécialiste, au musicologue, tout aussi bien qu’au passionné de musique classique et amateur de Bach, et même au mathématicien mélomane. «Le plan et la table des matières, précise l’auteur, ont été conçus pour permettre à chaque type de lecteur d’aller directement aux passages plus en rapport avec ses champs d’intérêt sans être obligé de lire les autres.»
La première partie est consacrée aux études sur Bach («Les études sur Bach: pour une herméneutique sémiologiquement fondée»), la deuxième nous amène de Luther au nombre d’or («La Passion selon Jean-Sébastien: de Luther au nombre d’or») et la troisième s’intéresse plus particulièrement à la divine proportion («Bach et le nombre d’or: des fugues instrumentales aux cantates d’église»). Guy Marchand souligne d’ailleurs que, pour lire cette dernière partie, il suffit de savoir qu’une partition est divisée en barres de mesure pour comprendre les principes relatifs à l’utilisation du nombre d’or en musique.
Quant au débat sur la pertinence de l’emploi de la divine proportion en art, l’auteur de l’évacue pas. Il aborde également la question importante de la «conscience» du compositeur par rapport à l’usage du nombre d’or, conscience parfois contestée. Bach, grand chrétien, fervent luthérien, s’y est – d’après Guy Marchand, qui en fait la brillante démonstration – véritablement intéressé. «Bach adhérait à tout l’aspect mystique véhiculé par le nombre d’or. On a prétendu qu’à la fin de la Renaissance cette mystique était tombée en désuétude, mais contrairement à ce que certains ont dit et écrit, c’était encore une donnée culturelle relativement répandue à l’époque de Bach.»
L’ouvrage de Guy Marchand, en plus de traiter d’un sujet extrêmement riche et de représenter une contribution importante dans le domaine de la musicologie, est admirablement présenté, riche en tableaux et en exemples musicaux. Et l’auteur, grand amoureux de Goethe et spécialiste du Faust et de ses différentes mises en musique, n’a pu s’empêcher de terminer son livre sur une citation du poète allemand: «Tout poète compose son œuvre à partir d’éléments que chacun tisse à sa manière en un tout cohérent, en organisant un réseau de connexions dont plus d’un observateur peut comprendre les principes directeurs. Si le lecteur se met à vouloir séparer, à mettre en pièces, il détruit ou, à tout le moins, diminue cette unité du tout que l’artiste a essayé d’atteindre. Le lecteur devrait plutôt relier que séparer, et ainsi il aidera l’artiste à compléter son dessein.»
Dominique Olivier
Collaboration spéciale
Guy Marchand, De Luther au nombre d’or, L’Harmattan, Paris, 391 pages.