Chaque fois qu’il voit un flocon de neige à huit branches parmi les décorations de Noël, Michel Côté se fâche. «Un cristal de neige n’a jamais huit branches. On sait ça depuis Johannes Kepler.»
L’astronome allemand (1571-1630) a laissé son nom à une méthode de mesure du mouvement des planètes (les lois de Kepler); il est moins connu pour son intérêt à l’égard des cristaux de neige. «Certaines de ses observations sont encore justes de nos jours, signale le professeur du Département de physique. Mais des questions qu’il s’est posées sont encore irrésolues, quatre siècles plus tard.»
Des exemples? La symétrie des flocons: comment se fait-il que les branches de part et d’autre de l’axe soient presque identiques? On comprend mal, de plus, que chaque flocon soit aussi différent de son voisin qu’une chaîne d’ADN d’une autre. Les expériences en laboratoire, dans des conditions parfaitement contrôlées, ne parviennent pas à expliquer ces mystères de façon satisfaisante. «Le mystère demeure entier même pour la physique moderne», admet M. Côté, qui participe actuellement, au sein du Groupe de physique numérique des matériaux, à d’importants projets en nanotechnologies.
Deux hypothèses sont généralement admises pour expliquer la composition des cristaux formés en haute altitude à partir de la vapeur d’eau à des températures de -10 à -15 °C. La première veut que ces branches soient semblables simplement parce qu’elles évoluent dans le même environnement; aucune loi particulière ne régirait la cristallisation. Selon la seconde, plus pertinente aux yeux de M. Côté, la cristallisation serait en quelque sorte coordonnée par un système interne de communication. On pense principalement à une interaction dans le champ magnétique du cristal.
Par curiosité pour ces questions regorgeant de concepts de physique théorique (mais qui intéressent peu les organismes subventionnaires), Michel Côté a suggéré à un étudiant du Département, Philippe Baucage, de se pencher sur la symétrie des flocons durant un stage de recherche à l’été 2001. L’étudiant a travaillé plusieurs mois sur le sujet et a déposé en mars 2002 un rapport de stage très documenté et fort bien écrit sur la question (voir <www.esi.umontreal.ca/grofnum//rech.html>). Philippe Baucage, aujourd’hui engagé dans des travaux de maîtrise sur le silicium, a créé des modèles informatiques prédisant l’évolution d’un flocon de neige.
La recherche n’a pas permis de déterminer le processus qui cause la symétrie des cristaux de neige. «Le champ électrique ne peut expliquer ce phénomène de symétrie chez les cristaux de neige lorsqu’on le considère comme conducteur», écrit l’étudiant dans sa conclusion. Malgré ce succès mitigé, il affirme avoir beaucoup appris sur le flocon de neige, ce qui permettrait de «lancer la recherche dans de nouvelles directions».
Michel Côté n’est pas démoralisé de se faire rappeler à chaque chute de neige les limites de la connaissance. Au contraire. «Depuis que nous avons travaillé sur cette question, je ne vois plus la neige du même œil. Il m’arrive même de prendre un instant pour observer la remarquable diversité des flocons qui nous tombent dessus.»
Comme le poète Henri David Thoreau qui, émerveillé devant un flocon, a écrit: «Je pourrais difficilement les admirer plus si de vraies étoiles tombaient du ciel et se logeaient sur mon épaule.»
À lire: Kenneth Libbrecht et Patricia Rasmussen, Flocons de neige: la beauté secrète de l’hiver, Montréal, Éditions de l’Homme, 2003, 120 p. 24,95 $.
Mathieu-Robert Sauvé