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Dans les marchés de Madagascar, le prix d’une tortue est légèrement inférieur à celui d’une volaille, ce qui en fait un «choix incontournable» pour les familles pauvres. |
Un biologiste de l’UdeM, Sébastien Rioux Paquette, s’est envolé en janvier pour un séjour de quatre mois à Madagascar. Sa mission: sauver la tortue radiée (
Geochelone radiata), une espèce menacée selon l’Union internationale pour la conservation de la nature. «L’aire de distribution de la tortue radiée a diminué de 20 % au cours des 25 dernières années et la densité de population a chuté d’un facteur dix depuis 5 ans à plusieurs endroits où elle vit encore», explique l’étudiant au doctorat.
Avec quelques dizaines de millions d’individus, la situation de la tortue radiée est moins précaire que celle de quatre autres tortues de l’île, qui figurent sur la liste des 25 espèces les plus menacées dans le monde. Mais si elle est commune dans certaines régions, c’est grâce à une croyance populaire. Chez les Antandroy et les Mahafaly du sud, il est interdit de tuer une tortue terrestre et même de s’en approcher. La légende veut qu’un ancêtre ait fait éclater un chaudron de terre en y cuisant une tortue vivante. La mise en morceaux de ce récipient serait à l’origine de l’interdiction respectée religieusement encore de nos jours.
Tous les habitants ne respectent pas cette interdiction. Au sud, par exemple, où vivent les Antanosy, les tortues radiées sont complètement disparues. Il faut dire qu’une famille pauvre mange en moyenne deux tortues par semaine, chiffre qui grimpe au moment des festivités. Si l’on ajoute à cela le lucratif commerce illicite avec les marchés asiatiques (jusqu’à 50 000 tortues radiées adultes seraient vendues annuellement), on comprend mieux qu’il faille agir rapidement. «Le but de ma recherche consiste à fournir aux communautés locales un outil permettant de déterminer facilement l’état de santé des populations. Avec ces données, on aura une idée précise de leur diversité génétique et l’on pourra évaluer le nombre d’individus», expliquait le biologiste à quelques jours de son départ.
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Sébastien Rioux Paquette |
Un Québécois dans la brousse
On peut se demander ce qui pousse un Québécois à s’enfoncer dans la brousse malgache pour étudier une espèce tropicale.
C’est par l’intermédiaire du taxonomiste François-Joseph Lapointe, dont les travaux sur les tortues sont reconnus depuis longtemps, que Sébastien Rioux Paquette s’est lancé dans cette direction. C’est d’ailleurs une méthode utilisée dans son laboratoire qui sera appliquée dans l’île de l’océan Indien. Or, ce qui vaut pour notre nordique tortue des bois vaut pour un reptile du bout du monde. «L’échantillonnage est très simple. Il s’agit de prélever une écaille saillante sur la patte antérieure de la tortue. Aucun saignement, aucune douleur pour l’animal. Et pour les indigènes, c’est une approche moins invasive que la prise de sang…»
Le peuple des épines, comme on appelle la tribu au sein de laquelle l’étudiant mène ses recherches, vit dans un désert semi-aride. Les villages qu’on y trouve sont considérés comme les plus défavorisés du pays. Les routes sont presque impraticables même en dehors de la saison des pluies. Mais les autochtones étaient prêts à participer aux travaux du jeune homme, comme celui-ci a pu s’en rendre compte au cours d’un voyage préparatoire effectué avec M. Lapointe en juin dernier. Un projet de partenariat a également été formé entre l’Université de Montréal et une université locale afin d’initier les biologistes malgaches aux méthodes d’identification moléculaire.
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Le prélèvement des écailles de tortues est inoffensif. |
C’est à la demande d’un organisme local que ce sujet a été amené. Les herpathologistes ont voulu savoir où les besoins étaient les plus urgents. La tortue radiée est apparue comme un excellent objet d’étude. «Les recherches sur cette espèce sont plutôt rares, signale l’étudiant. Pour établir un plan de protection et de réhabilitation, il faut commencer par bien connaître l’animal. On sait que la présence humaine a entraîné la dispersion des tortues et leur population a été divisée en plusieurs petits groupes. Dans quelle mesure la séparation des groupes a nui à l’ensemble, on n’en sait rien…»
L’échantillonnage d’une quarantaine de tortues capturées à Madagascar devrait suffire à Sébastien Rioux Paquette dans le cadre de ses travaux de doctorat. Par la suite, la méthode pourrait être étendue à six régions, du nord au sud, de façon à couvrir tout le territoire, explique-t-il. "L’analyse des écailles nous permet d’étudier des variables dans les parties de l’ADN. Avec ces données, nous pouvons connaître précisément la filiation entre les individus.
S’il y a de la vie, il y a de l’espoir
Dans un article qu’il a publié récemment dans la revue des cycles supérieurs Dire, Sébastien Rioux Paquette affirme qu’il y a de l’espoir pour les tortues de Madagascar à condition d’«impliquer la population et [de] valoriser la conservation», ce qu’il se propose justement de faire.
Mais outre la création de réserves fauniques et la sensibilisation du public, la survie de la tortue radiée passe par des mesures sociales qui s’attaqueraient à la pauvreté des gens. «Il faut absolument trouver des solutions aux problèmes économiques des habitants, mettre en place des moyens pour qu’ils puissent répondre à leurs besoins les plus fondamentaux sans devoir détruire ce qui reste de la nature», écrit-il.
Dans les marchés de Madagascar, rappelle-t-il, le prix d’une tortue est légèrement inférieur à celui d’une volaille, ce qui en fait un «choix incontournable» pour les familles pauvres. Un nouveau commerce très meurtrier de foies de tortues, destiné au marché asiatique, inquiète aussi les biologistes.
Pour des raisons évidentes, les tortues sont des proies faciles pour l’homme. Mais c’est quand on s’attaque à leur habitat qu’on risque de leur causer le plus de torts. Or, la demande croissante pour les produits de l’agriculture incite les fermiers à empiéter sur les terres sauvages. Les brûlis gagnent du terrain.
Alors que d’autres auraient tendance à se décourager, Sébastien Rioux Paquette estime qu’il s’agit de «bons défis pour les biologistes de la conservation».
Mathieu-Robert Sauvé