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Patricia Garel |
Selon certaines études, de 15 à 30 % des jeunes Occidentaux âgés de 14 à 24 ans nourrissent des idées suicidaires. Ils ne passeront pas tous à l’acte, mais, sur une population de 100 000 jeunes de ce groupe d’âge, 20 mettront effectivement fin à leurs jours, ce qui fait du suicide la deuxième cause de mortalité chez les adolescents au Canada.
Il semble que plusieurs de ces suicides effectifs auraient pu être évités. Selon la Dre Patricia Garel, professeure au Département de psychiatrie de l’UdeM et chef du service de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Justine, la moitié des jeunes qui se suicident ont consulté un médecin de famille pour diverses raisons dans les mois précédant leur geste. Une évaluation adéquate de la part des milieux médicaux et un soutien des proches pourraient donc faire la différence entre la vie et la mort. Mais il faut savoir agir au bon moment, car la majorité des suicides achevés surviennent dès la première tentative.
La pédopsychiatre faisait le point sur le problème du suicide chez les jeunes au cours d’une conférence présentée le 10 février à l’occasion de la Semaine québécoise de la prévention du suicide. Dans une optique de prévention, elle a dressé la liste des principaux facteurs de risque cernés par les études d’«autopsie psychologique» et susceptibles de conduire un adolescent à commettre l’irréparable.
Facteurs de risque
«L’autopsie psychologique est la reconstitution de la vie d’un suicidé – en particulier son mode de vie, ses sentiments et ses comportements – dans les semaines qui ont précédé son geste», explique la Dre Garel.
À la lumière de ces enquêtes épidémiologiques, le motif évoqué pour passer à l’acte peut paraître bien banal et anodin aux yeux d’un adulte: dispute entre parents, manque d’autonomie, rupture de liens amicaux, problème scolaire. «Mais cet aspect superficiel du motif camoufle des difficultés bien réelles faisant ressortir plusieurs facteurs de risque», précise la psychiatre.
Les études montrent en fait qu’un diagnostic psychiatrique caractérise presque 90 % des cas de suicides «complétés». Les troubles les plus fréquents sont la dépression majeure, les troubles bipolaires, un début de schizophrénie, l’anxiété aiguë, les troubles de conduite et une personnalité antisociale.
L’usage de drogues et d’alcool est aussi un facteur de risque majeur, ou du moins un élément qui aggrave d’autres facteurs. «La triade dépression, troubles du comportement et abus de drogue constitue une association à très haut risque», souligne la professeure.
L’histoire de vie doit également être prise en compte dans l’interprétation des signaux. L’absence de soutien parental, des antécédents psychiatriques ou de suicide dans la famille, des sévices physiques ou sexuels, un deuil précoce, une maladie chronique sont considérés comme des éléments qui accroissent la vulnérabilité de l’adolescent à l’égard du suicide. De plus, certains traits de la personnalité, comme un caractère impulsif, pessimiste, rigide ou perfectionniste, ainsi que des troubles de l’identité sexuelle fragilisent l’individu.
«Il n’y a pas de formule à valeur prédictive absolue et le cumul des facteurs de risque ne signifie pas que l’adolescent va passer à l’acte, prévient Patricia Garel. Toutefois, ce cumul illustre la dangerosité d’une situation.»
Divers facteurs de protection peuvent cependant faire contrepoids aux facteurs de risque: le soutien des proches, le traitement d’un trouble psychiatrique, l’espoir entretenu, la qualité des relations interpersonnelles ou encore l’engagement social.
Fait bien connu mais toujours aussi préoccupant, 80 % des suicides effectifs avec diagnostic psychiatrique sont le lot de garçons ou de jeunes hommes. Quant aux tentatives de suicide associées à des problèmes relationnels, elles sont majoritairement commises par des jeunes filles.
«Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ces différences, dit la dre Garel. Le moyen utilisé est l’une des explications: les filles avalent des médicaments, qui laissent souvent une chance de les sauver, alors que les garçons vont plutôt se servir d’une arme ou recourir à la pendaison. Les garçons sont également plus impulsifs dans leur geste et les filles vont plus facilement chercher de l’aide.»
Savoir intervenir
Dans un texte destiné à guider les interventions préventives (paru dans Le médecin du Québec, août 2003), Patricia Garel soutient que médecins et intervenants sociaux ne devraient pas craindre d’aborder cette délicate question avec des adolescents qui présentent des signes de dysfonctionnement.
À son avis, il est faux de penser qu’aborder le sujet risque d’inciter l’adolescent à passer à l’acte. Cette idée proviendrait d’une mauvaise compréhension de l’effet de contagion produit par des suicides médiatisés. «Dans une relation d’aide, aborder la question peut entraîner un grand soulagement chez l’adolescent. Pouvoir exprimer ses ruminations, sans que l’adulte en face de lui panique et se fâche, l’aidera à prendre une certaine distance et à atténuer sa honte et son désarroi.»
La Dre Garel souligne de plus que les intervenants ne doivent pas hésiter à prévenir ou à rencontrer les parents d’un jeune suicidaire, tout en l’informant de cette démarche. «La confidentialité n’est plus de mise quand la vie de l’adolescent est en danger», affirme-t-elle. La même règle vaut pour les amis. Dans les cas extrêmes, il ne faut pas craindre de le conduire à l’urgence et l’on ne doit jamais le laisser seul.
La bonne attitude consiste à faire preuve d’une écoute attentive et à amener l’adolescent à mettre son projet de côté afin de donner une chance au spécialiste ou à ses proches de bien comprendre la situation. La trêve ne constitue pas qu’un gain de temps, elle vise à faire en sorte que l’adolescent mise sur ses compétences afin de reprendre le contrôle de la situation.
«Les comportements suicidaires sont un symptôme d’impasse et non un diagnostic, conclut la psychiatre. Il faut remonter au-delà de ce symptôme pour éliminer la pathologie psychiatrique et rétablir l’équilibre.»
Daniel Baril