Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Être payé pour s’amuser!
Laurent Simon étudie la gestion dans un environnement ludique

Laurent Simon

Dans un immense loft du boulevard Saint-Laurent, une bande de jeunes est réunie autour d’une console PlayStation. Manettes en main, ils sont complètement absorbés par le jeu vidéo Prince of Persia. Les commentaires et les appréciations fusent de toutes parts. Pourtant, l’heure n’est pas à la détente mais bien au travail. C’est que chez Ubisoft, les employés sont payés pour jouer!

En décembre dernier, la compagnie française spécialisée dans la mise au point de jeux vidéo annonçait que son effectif allait passer de 700 à 850 employés. Des programmeurs en animation, des spécialistes de l’intelligence artificielle et des ingénieurs seront invités à rejoindre les rangs de l’entreprise. Les conditions offertes aux candidats sont plus qu’alléchantes. Les salaires parmi les débutants atteignent facilement 40 000 $. Et nul besoin de se procurer un complet. Chez Ubisoft, on travaille en jeans!

«L’atmosphère est hyperdécontractée, confirme Laurent Simon, professeur adjoint au Service de l’enseignement du management à HEC Montréal. On dirait que chaque employé a reconstitué une partie de sa chambre d’adolescent dans son bureau. On y trouve de petits personnages en plastique, des affiches inspirées de dessins animés, des véhicules de toutes sortes, etc.»

Travailler, c’est cool!

De 1998 à 2000, Laurent Simon a observé les mœurs des employés d’Ubisoft. Il en a fait une thèse qu’il a défendue au mois de septembre 2003. «Lorsque j’ai commencé mon doctorat, Ubisoft comptait 300 employés à Montréal. Leur moyenne d’âge était de 25 ans! Je me demandais comment ces jeunes créateurs issus de la génération Net pouvaient travailler ensemble. J’ai décidé d’aller voir sur le terrain.»

Laurent Simon a découvert des employés qui, pour la plupart, étaient des autodidactes sur le plan des nouvelles technologies. Ces jeunes branchés circulaient librement dans les bureaux, s’apostrophaient, téléphonaient ou pianotaient sur leurs claviers. Malgré un certain brouhaha, quelques employés semblaient littéralement absorbés par leur écran.

Au cours de ses deux années d’observation, M. Simon s’est familiarisé avec les grandes étapes de la création d’un jeu vidéo. «C’est un travail qui implique une multitude de personnes et de métiers. Un seul jeu peut monopoliser 80 employés pendant deux ans. À la tête de cette équipe, on trouve un ou plusieurs coordonnateurs ou concepteurs de jeux électroniques.»

Une fois le scénario du jeu imaginé et élaboré, le coordonnateur demande aux graphistes de dessiner les personnages en deux, puis en trois dimensions. À partir du modèle 3D, un animateur définit ensuite une série de mouvements pour chaque personnage. Les programmeurs, qui travaillent souvent dans l’ombre, s’assurent quant à eux du réalisme et de la fluidité des mouvements. Finalement, le coordonnateur assemble les morceaux pour créer une action, voire une ambiance dans l’esprit du scénario du jeu. Il veille aussi à respecter les échéanciers et les budgets.

Si l’on en juge par les succès d’Ubisoft, ces employés font bien leur travail. Édité en neuf langues, Prince of Persia sera bientôt distribué dans 52 pays. Batman: Rise of Sin Tzu et Rainbow Six 3, deux autres nouveautés, seront aussi vendus dans le monde entier. Les jeux sont compatibles avec trois standards existants, soit XBox de Microsoft, Game Cube de Nintendo et PlayStation 2 de Sony. Certains jeux d’Ubisoft se sont déjà vendus à plus de cinq millions d’exemplaires.

Nouvelles approches de gestion

Au cours de sa recherche, Laurent Simon s’est aussi intéressé aux administrateurs d’Ubisoft. Il a découvert que, pour réussir dans le domaine du multimédia, les dirigeants d’entreprise ne peuvent avoir recours aux approches traditionnelles de gestion.

«On ne peut imposer de structure hiérarchique classique dans ce type d’entreprise, explique-t-il. Les jeunes créateurs ne sont pas tellement motivés par les promotions, le pouvoir et l’argent. Ils sont plutôt attirés par les tâches elles-mêmes et les possibilités d’expression à travers leur travail. Ils veulent avant tout avoir du plaisir en travaillant. Tout comme les personnages de leurs jeux vidéo, ils cherchent à évoluer dans un univers ludique.»

Un poste de professeur à HEC Montréal lui ayant été proposé avant même qu’il soutienne sa thèse, M. Simon s’apprête à lancer de nouveaux projets de recherche en management des créateurs et des innovateurs. «Je cherche à mieux comprendre les organisations qui engagent des créateurs et à les aider à instaurer des environnements stimulants pour leurs employés.»

Selon lui, ses recherches ne seront pas seulement utiles aux entreprises qui vivent du multimédia. Les agences de publicité et de marketing, les compagnies des secteurs de la science et des nouvelles technologies, toutes peuvent bénéficier de ces nouvelles approches en gestion de la création. Avec ses étudiants à la maîtrise, le professeur Simon a déjà amorcé des collaborations avec Cossette, Les sept doigts de la main (un nouveau cirque) et Forensic Technologies (une firme québécoise qui conçoit des systèmes logiciels d’identification des propriétaires d’armes à feu, en particulier pour le FBI).

«On trouve à Forensic Technologies ou chez Cossette les mêmes défis de management que chez Ubisoft. Ces sociétés sont toutes tournées vers la création. Leur but premier n’est pas de gérer le profit, mais l’innovation. C’est une nouvelle approche très humaniste de la gestion qui est en train d’émerger.»

Dominique Forget

Collaboration spéciale



 
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