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De gauche à droite, Lucien Albert, Thomas Le Grand, Pierre Fournier et Victor Piché; assises à la table, Turenne Joseph et Danièle Laliberté. |
L’Université de Montréal lancera, avec l’Université de Ouagadougou, au Burkina Faso, un programme de formation visant à renforcer les compétences en recherche et à améliorer les politiques démographiques et sanitaires en Afrique francophone subsaharienne. D’une durée de 10 ans, ce programme appuiera les efforts en santé reproductive en offrant des formations avancées, en ouvrant un centre régional de recherche et en mettant sur pied un réseau d’experts qui travailleront dans le domaine. La fondation Bill et Melinda Gates finance cet ambitieux projet par une contribution de 11,7 M$ US (au moins 16 M$ CAN).
«De façon générale, nous souhaitons améliorer les conditions de santé publique afin de diminuer la mortalité dans une des régions les plus éprouvées du globe, explique Victor Piché, professeur au Département de démographie. Concrètement, nous voulons mettre en place des programmes de formation plus efficaces que ceux qui existent actuellement, souvent trop théoriques et mal adaptés aux besoins locaux.»
En créant l’équivalent d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) destiné aux Africains déjà engagés dans le système de santé de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, l’équipe canadienne pense pouvoir former 115 spécialistes à partir de janvier 2005. Ce sont des professionnels qui font déjà partie du personnel en santé publique: médecins, infirmiers, sages-femmes, etc. «Le financement du projet est prévu pour 10 ans, mais la présence de divers partenaires fait que nous pouvons envisager sa survie à long terme, mentionne M. Piché. Trop de projets de coopération internationale prennent fin quand les subventions sont épuisées. Nous souhaitons éviter cela.»
30 ans en Afrique
Présent depuis 30 ans en Afrique subsaharienne, Victor Piché considère ce projet comme l’un des plus importants à avoir été menés par les professeurs du Département de démographie. Mais le directeur insiste sur la participation de plusieurs partenaires. L’idée originale revient d’ailleurs à son collègue Thomas Le Grand, professeur à ce même département. Pierre Fournier, professeur au Département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine, y est aussi très engagé ainsi que Lucien Albert, directeur de l’Unité de santé internationale. Les collaborateurs de l’Unité d’enseignement et de recherche en démographie (UERD) de l’Université de Ouagadougou, Dieudonné Ouédraogo, Baya Banza et Blaise Sondo, complètent l’équipe en plus de la coordonnatrice Danièle Laliberté et de l’administratrice Turenne Joseph.
Le nouveau programme d’études exigera la présence en Afrique de spécialistes internationalement reconnus qui devront se déplacer afin d’assurer la formation des étudiants. Victor Piché se rend lui-même cinq ou six fois par année sur ce continent. Mais éventuellement, des méthodes d’enseignement à distance seront intégrées au processus pédagogique afin de mettre à contribution les meilleurs professeurs. On verra de plus en plus de vidéoconférences par exemple.
Lorsque le D.E.S.S. sera bien implanté, on amorcera la deuxième phase du projet, soit le renforcement de la structure de l’UERD. Par la suite, des programmes de bourses assureront un financement à 17 étudiants au doctorat en santé publique et en démographie de l’Université de Montréal.
Pourquoi la fondation Bill et Melinda Gates s’est-elle tournée vers l’UdeM? Parce qu’on y trouve une expertise unique au monde en matière de santé publique en Afrique francophone. «L’objectif de cette fondation est de favoriser des projets de coopération en santé dans toute l’Afrique. Or, si les chercheurs américains sont présents dans plusieurs pays, ils sont moins actifs dans les anciennes colonies françaises, où nous travaillons depuis longtemps», explique le démographe.
Ce n’est pas la première fois que les chercheurs montréalais obtiennent un financement substantiel pour des projets en Afrique. En 2001, les fondations Mellon et Rockefeller ainsi que le Fonds des Nations Unies pour la population accordaient aux démographes de l’UdeM des subventions totalisant cinq millions pour réaliser des projets de développement (voir Forum du 19 février 2001). Précédemment, l’Agence canadienne de développement international avait accordé trois millions à un projet du professeur Piché.
De l’espoir
En dépit des problèmes démographiques auxquels ce continent est confronté, Victor Piché garde espoir. «Si l’on fait exception de l’épidémie de sida qui est venue frapper durement plusieurs pays d’Afrique, on notait une amélioration constante des conditions de santé. La mortalité infantile, par exemple, était en baisse grâce à différents programmes de vaccination.»
Malheureusement, une autre menace pèse sur les communautés africaines: la guerre. «Les conflits armés font perdre d’un coup des années d’efforts sur le plan de la santé publique. Ainsi au Rwanda, les programmes de coopération mis en place par le Canada avaient connu plusieurs success stories. Tout ça a quasiment disparu à la suite du génocide.»
Mince consolation, le sida ne fait pas autant de ravages en Afrique francophone qu’en Afrique du Sud ou en Ouganda. «Il y a de l’espoir sur ce continent, c’est sûr. Sinon, nous ne serions plus là depuis longtemps», lance M. Piché.
Mathieu-Robert Sauvé