Le lac Saint-Pierre, en aval des îles de Sorel, fait partie de la Réserve mondiale de la biosphère de l’UNESCO. Ce statut, attribué au lac pour son rôle clé dans l’écologie, le destine à la fois à la conservation, au développement durable et aux études environnementales. Pourtant, les années du lac Saint-Pierre sont comptées. «Dans 100 ans, il ne restera plus de lac», affirme Richard Carignan, professeur au Département de sciences biologiques.
Il y a 15 ans, tous les chercheurs étaient convaincus qu’il n’y avait pas de sédimentation au lac Saint-Pierre. «C’est un fond sablonneux et la sédimentation nécessite des particules plus fines, explique Richard Carignan. Mais j’ai radicalement changé d’idée», a-t-il avoué au cours d’une conférence du Groupe d’écologie des eaux douces tenue le 16 février.
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Richard Carignan |
Avec une superficie de 300 km
2, le lac Saint-Pierre est immense. Mais il est très peu profond, soit de 3 à 5 m. Outre le fleuve Saint-Laurent, qui y jette les eaux des Grands Lacs et de la rivière des Outaouais, plusieurs autres rivières s’y déversent, ce qui en fait un système d’eau très complexe. Comme la lumière pénètre jusqu’au fond du lac sur une bonne partie de son étendue, la flore y est abondante. Et le chenal de la voie maritime ajoute à la complexité de l’écosystème.
Envasement du lac
Les données recueillies au cours des années 70 et 80 montraient effectivement une absence de sédimentation au lac Saint-Pierre. Mais la recherche de Richard Carignan menée l’été dernier – portant sur la qualité de l’eau, la vitesse d’écoulement et la profondeur mesurées en 110 points différents – a révélé un tout autre tableau.
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Photo-satellite du lac Saint-Pierre : le filet bleuâtre au centre marque l’écoulement principal des eaux du Saint-Laurent, qui suivent le chenal de la voie maritime. |
Les mesures de profondeur comparées avec celles des années 80 figurant sur la carte actuelle du lac montrent que cette carte n’a plus rien à voir avec la réalité. À la tête du lac, le courant du chenal de la voie maritime a produit, de part et d’autre du canal, des fosses d’érosion de 64 cm de profondeur. Au centre du lac, une autre dépression allant jusqu’à 32 cm de profond a été creusée sur plus de six kilomètres de long et trois kilomètres de large.
Presque partout ailleurs, l’apparition du processus de sédimentation a bouleversé l’état des lieux. À certains endroits, l’accumulation des sédiments a atteint 140 cm en moins de 15 ans!
«Le lac est en train de s’envaser et, si l’on ne fait rien, dans 100 ans il ne restera qu’un immense marais avec un canal de navigation au centre», déclare le chercheur. Cette sédimentation est due à l’effet combiné de deux facteurs principaux: la pollution agricole et l’érosion des berges.
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Dans les zones peu profondes, la prolifération des algues filamenteuses étouffe le lac. |
Les quantités industrielles de carbone organique, de nitrate, d’ammonium, d’azote, de phosphore et de phosphate, en provenance principalement des rivières Richelieu, Saint-François et Yamaska, en font «un système saturé en éléments nutritifs».
Et ces polluants se comptent à la tonne. Les rivières de la rive sud déversent dans le lac Saint-Pierre 1000 tonnes de phosphate et 14 600 tonnes d’azote par année! Ces nutriments, provenant des engrais agricoles, entraînent une prolifération d’algues et d’autres plantes aquatiques à un point tel qu’à certains endroits «les poissons ne peuvent plus nager», affirme le professeur.
Ces rejets viennent annuler l’effet des usines d’épuration entrées en activité au début des années 90. Les données du professeur Carignan indiquent en effet une diminution sensible de certains polluants dans les rivières à partir de 1990, mais montrent également une tendance à la hausse depuis 1995. Cette hausse serait notamment due à l’épandage intensif de purin de porc, une pratique qui ne cesse d’augmenter au Québec.
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Le confluent des rivières Yamaska et Saint-François à leur décharge dans le lac Saint-Pierre. L’aspect des eaux en dit long sur leur qualité! |
Érosion des berges
Aux polluants agricoles s’ajoute l’effet de l’érosion. Chaque année, entre Montréal et le lac Saint-Pierre, les vagues des bateaux arrachent trois millions de tonnes de sable aux berges. Ce sable est bloqué dans le lac par la multiplication des plantes aquatiques. L’effet est même visible sur des photographies aériennes, qui permettent de discerner des bancs de sable dans les herbiers.
«Le lac est entré dans un cercle vicieux – nutriments, plantes, envasement – que je n’aurais pas soupçonné il y a 15 ans», avoue Richard Carignan.
En plus de causer une érosion sous-marine en bordure du chenal, la voie maritime contribue à l’ensablement du lac.
«Le dragage de cette tranchée de 245 m de large et d’une profondeur «officielle» de 11,3 m au centre du lac a nécessité l’extraction de 100 millions de mètres cubes de terre. Le résultat est qu’il y passe beaucoup plus d’eau, alors que la vitesse d’écoulement est réduite près des rives, ce qui favorise la sédimentation.»
Pour ajouter à ce sombre tableau, rappelons que les responsables de la voie maritime parlent de doubler la largeur du canal. De plus, les études sur le réchauffement climatique prévoient une baisse du niveau d’eau du Saint-Laurent.
Pour Richard Carignan, la solution réside dans des pratiques agricoles de développement durable, dans la réduction des rejets industriels et urbains et dans un moratoire sur le dragage du fleuve.
Daniel Baril