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Pascale Lefrançois a acquis la notoriété le 24 novembre 1990 en remportant à Paris une dictée internationale lue par l’animateur littéraire Bernard Pivot. «Ma principale fonction est l’enseignement. La recherche vient alimenter cette fonction», dit-elle. |
Après sa victoire éclatante à la dictée de Bernard Pivot en 1990, qui lui a valu notamment le titre de chevalier de l’ordre de la Pléiade, Pascale Lefrançois a voulu «changer le monde». Avec cet objectif en tête, elle obtenait, en 1996, un baccalauréat en économie et sciences politiques de l’Université McGill avec la mention «grande distinction» et elle voyait son nom figurer sur la liste d’honneur du doyen.
Mais elle a renoncé, depuis, aux sciences politiques et économiques. «Je me suis rendu compte que changer le monde, ça passait d’abord par l’éducation», dit la jeune femme de 29 ans qui est devenue en 2000 professeure adjointe au Département de didactique.
Depuis qu’elle a déposé sa thèse de doctorat sur la didactique des langues et de la lecture, peu avant d’entamer sa carrière à l’Université de Montréal, la jeune enseignante aux yeux étincelants passe beaucoup de temps avec des étudiants qui éprouvent des difficultés en français écrit. Pourtant elle ne se lasse pas de montrer le b-a ba de leur langue maternelle à des gens qui ont accompli 13 ans de scolarité, elle qui pourtant savait lire avant la première année.
«Même les étudiants qui se destinent à l’enseignement au primaire et au secondaire maîtrisent encore mal la langue française. Je cherche à comprendre leurs principales faiblesses et à déterminer les façons de combler rapidement leurs lacunes», explique-t-elle.
Le cours de mise à niveau Français écrit pour futurs enseignants, créé en 1998 dans la foulée de la réforme qui a touché la formation des maîtres, est un survol des grands principes du français écrit. Accords des verbes, syntaxe, vocabulaire, tout y passe jusqu’à l’examen dont la réussite est obligatoire avant la troisième année du baccalauréat (voir Forum du 9 février, p. 1). L’automne dernier, plus de 500 futurs enseignants s’y sont inscrits. «On a 45 heures pour sauver tout ce monde-là», laisse tomber la jeune professeure en soulignant au passage que l’attitude de ces naufragés est malgré tout positive.
Des observations utiles
Pour cerner les faiblesses de ces étudiants du cours de rattrapage, Pascale Lefrançois mène depuis 2001 des travaux de recherche originaux.
Elle présente à des groupes de 24 répondants un texte de 242 mots comptant 40 erreurs. À eux de les trouver. Le texte à corriger, composé à partir des fautes les plus fréquentes des étudiants des années passées, offre un beau panorama de leurs bêtes noires.
La compilation des données obtenues auprès d’un groupe de la Faculté des sciences de l’éducation révèle une moyenne de 13 fautes par étudiant. «On trouve les grands classiques: accords des participes passés, syntaxe, lexique. Mais ce test nous permet d’observer bien d’autres choses, par exemple leur stratégie de révision avec les dictionnaires et les grammaires.»
Grâce à une caméra vidéo qui enregistre chaque geste de l’étudiant pendant son exercice de correction, elle a noté que la plupart des sujets de recherche utilisaient mal les ouvrages de référence auxquels ils ont droit. «En fait, seulement 15 % des sujets s’en servent, note la chercheuse. Et pas toujours avec succès. J’ai vu une étudiante vérifier le pronom «leur», invariable, et laisser tout de même le mot «leurs» sur sa feuille.»
Ses observations ont déjà porté leurs fruits puisque les chargés de cours consacrent chaque semaine une partie de leur tâche à enseigner comment consulter efficacement les ouvrages de référence.
Lire à quatre ans
Originaire de Cartierville, dans la région de Montréal, Pascale Lefrançois est-elle une miraculée du système scolaire? En tout cas, elle ne doit pas sa réputation internationale en français aux cours qu’elle a suivis à l’école (même si elle a fréquenté un collège privé). Elle dit avoir appris le français sans douleur, dès son plus jeune âge. «Je me suis toujours intéressée aux lettres, aux mots. En sixième année, j’ai même écrit un roman», se rappelle-t-elle en riant.
Après l’école, alors que les autres enfants allumaient le téléviseur, Pascale demandait à sa mère de lui faire faire une dictée. «Quand je me trompais, ma mère déposait devant moi le gros Grevisse bleu, que je détestais. Je faisais tout pour éviter de le voir apparaître devant moi.»
La jeune femme n’a gardé aucune rancœur contre sa mère (coauteure avec elle d’un livre sur les difficultés de la langue française, L’orthographe déjouée, publié par Mondia éditeur en 1995) ni contre la célèbre grammaire de Maurice Grevisse, avec laquelle elle s’est finalement réconciliée.
Grâce à des subventions du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, qui totalisent actuellement près de 250 000 $, Pascale Lefrançois a une carrière universitaire déjà bien entamée.
Et elle veut toujours changer le monde.
Mathieu-Robert Sauvé