Édition du Édition du 5 avril 2004 / volume 38, numéro 27
 
  Quaternions, de Michel Longtin, couronnée création de l’année 2003
La musique de notre époque s'offre rarement une telle ampleur temporelle et orchestrale

 Michel Longtin

Pas facile de cerner Michel Longtin. C’est que le compositeur de 57 ans, professeur de composition et d’analyse musicale à la Faculté de musique, échappe à toute tentative de catégorisation. D’abord formé en sciences, il s’est par la suite consacré à l’art dramatique, à la mise en scène et à la pantomime, avant de choisir la composition. Le musicien n’accorde que très peu d’entrevues, mais il a quand même accepté avec simplicité de nous parler de son œuvre Quaternions.

Mais d’abord, une petite mise en situation. En fin de programme, dans un concert qui couronne un festival de musique contemporaine d’envergure internationale (Montréal Nouvelles Musiques 2003), on nous annonce une œuvre d’une durée exceptionnelle (plus de 50 minutes de musique!), Quaternions, de Michel Longtin, pour grand orchestre. À elle seule, l’entreprise est colossale: la musique de notre temps s’offre rarement le luxe de l’ampleur temporelle ou orchestrale et, surtout, des deux en même temps. Durant ces 50 minutes, les auditeurs sont suspendus à la baguette du chef (le Français Pierre-André Valade) qui dirige l’Orchestre symphonique de Montréal. Le temps file, on reprend ses esprits au bout de Quaternions avec l’impression d’avoir vécu un grand moment de musique. Des salves d’applaudissements résonnent dans la salle Pollack.

Quelques mois plus tard, l’œuvre est récompensée à la remise des prix Opus (les oscars de la musique de concert au Québec, décernés par le Conseil québécois de la musique) en tant que création de l’année 2003. Mais de quoi il retourne? «Quand j’ai eu 50 ans, j’ai pris une sabbatique et je me suis dit que j’allais me faire un cadeau, raconte le compositeur au sujet de Quaternions. Je ne me suis pas préoccupé du fait qu’elle pourrait ne jamais être jouée, j’avais besoin de vivre cette aventure. Alors, j’ai couché sur papier divers aspects de ma vie, qui m’ont plu, que j’ai aimés, qui m’ont touché, de façon positive ou négative. Comme la liste était fort longue, j’ai choisi d’en sélectionner 23, mon nombre fétiche…»

Cette sélection s’est faite sur une base plutôt originale: la théorie des quaternions, élaborée par le mathématicien irlandais sir William Rowan Hamilton (1805-1865). «Le titre de l’œuvre n’engage que le choix des tableaux, spécifie Michel Longtin. Il n’y a pas de mathématiques dans la pièce.» «Le discours musical de Quaternions est développé de façon libre et poétique, souligne Olivier Girouard, étudiant en composition à la Faculté, qui s’est penché de manière approfondie sur cette création. Il s’agit d’une autobiographie musicale qui reflète l’ensemble de l’œuvre du professeur Longtin.»

Le Livre rouge, entièrement conçu par le compositeur, accompagne la partition. Il comprend contes, dessins, graphiques, équations, témoignages, tous d’une grande humanité et d’une foisonnante imagination. S’y côtoient, comme dans la pièce instrumentale, Wim Wenders, Jerry Goldsmith, Carl Sagan, Pierre Labat, Miró, Kandinsky, Eli Bornstein, Virgil C. Gheorghiu et William Hamilton…

Michel Longtin est toutefois conscient que son approche marginale de la composition peut en effrayer quelques-uns. «Ma façon très personnelle de faire les choses peut jouer en ma faveur ou me nuire. Mais j’avais besoin d’aller jusqu’au bout de toute l’affaire, de la musique et de ce que ces personnages évoquent en moi. C’est en quelque sorte l’histoire de ma vie intellectuelle et émotive, résumée en 23 portraits hommages.»

Mais comment, concrètement, «musicaliser» une telle entreprise? L’alchimie de la création ne s’explique guère, et Michel Longtin se méfie des «mots pour la dire». Il est clair cependant que le compositeur ne se confine pas dans un style musical particulier. En marge des «chapelles de la musique contemporaine», Quaternions, œuvre charnière de son parcours créatif, peut être qualifiée de postmoderne, mais elle englobe bien plus encore. «On nous a toujours dit de ne pas mélanger les langages parce que c’est un péché mortel, blague le musicien. Mais moi, je suis un grand pécheur!»

Peu impressionné par son prix Opus, Michel Longtin se déclare toutefois satisfait de son œuvre. Il faudra néanmoins patienter avant de réentendre Quaternions, vu les limites constamment imposées à l’exécution des pièces d’aujourd’hui. En attendant donc, Michel Longtin a repassé son costume de professeur d’université. En plus d’avoir plusieurs étudiants en composition, il prépare un cours sur la musique de film – en particulier celle de Jerry Goldsmith –, qui promet d’être coloré. Parallèlement, il mijote un projet d’œuvre en hommage au fondateur de l’Arche, Jean Vanier. Alors, laissons parler la musique!

Dominique Olivier

Collaboration spéciale



 
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