|
Marie McAndrew |
La VII
e Conférence nationale Metropolis, qui a réuni plus de 700 chercheurs, décideurs et membres d’organisations non gouvernementales au centre Sheraton de Montréal du 25 au 28 mars dernier, a été le théâtre d’un chaud débat entre deux visions opposées de l’intégration des immigrants. Professeure en sciences de l’éducation à l’UdeM et responsable du volet «éducation et formation» de cette conférence, Marie McAndrew a participé à la discussion qui s’est déroulée en séance plénière sur le thème «Citoyenneté inclusive, identité et diversité». Tamar Jacoby, du Manhattan Institute de New York, a expliqué la philosophie américaine d’intégration alors que Varun Uberoi, de l’Université d’Oxford, en Angleterre, s’est posé comme un ardent défenseur de la diversité. Rosaline Frith, de Citoyenneté et Immigration Canada, et Eileen Sarkar, du Patrimoine canadien, prenaient part au débat à titre de commentatrices. C’est Richard Clippingdale, de l’Université Carleton d’Ottawa, qui présidait l’assemblée.
L’une des questions adressées aux conférenciers a porté sur le rôle de l’État dans l’instauration d’une citoyenneté inclusive. Avec humour, Tamar Jacoby a défendu le modèle américain d’intégration, qu’elle a défini comme beaucoup moins interventionniste que le modèle canadien. «Le melting pot, ce n’est pas de mettre tous les nouveaux arrivants dans le même sac et de brasser pour que les différences disparaissent. D’ailleurs, il n’y a pas de politique américaine destinée à aider les immigrants à s’intégrer à la majorité. Il existe une politique implicite visant à maintenir un espace public neutre où sont respectées les valeurs constitutionnelles. Mais, en privé, les gens peuvent continuer à parler leur langue, garder leurs coutumes et pratiquer leur religion. Et personne ne les force à aimer MTV.»
Une question de valeurs
Cette façon de présenter les choses a fait bondir Varun Uberoi, qui a affirmé que l’espace public était loin d’être neutre: «Pour s’intégrer, les immigrants doivent participer à la vie sociale et à l’activité économique, mais pour ce faire, ils n’ont pas d’autre choix que d’adhérer aux valeurs de la majorité.» Faux, a répondu Tamar Jacoby. «Mes grands-parents, qui étaient juifs, respectaient le sabbat. Mais ils étaient prêts, pour améliorer leur position dans la société américaine, à travailler le samedi. Ils n’étaient pas obligés de le faire et auraient pu, comme d’autres l’ont fait, décider de vivre dans une enclave juive et ne pas travailler le samedi. C’était leur choix. C’est la même chose pour les immigrants de langue espagnole. On peut vivre à Miami en ne parlant qu’espagnol. Mais personne ne veut cela pour ses enfants.»
Rosaline Frith et Eileen Sarkar ont insisté sur le rôle que le gouvernement doit jouer pour aider les immigrants à s’intégrer dans leur communauté d’accueil, notamment en leur donnant accès à des cours de langue. «Sinon, ils risquent de rester enfermés plus longtemps dans un ghetto et de ne pas développer de sentiment d’appartenance», a noté Mme Frith. Pour sa part, Marie McAndrew a souligné que les différences structurelles n’étaient pas si importantes entre les États-Unis et le Canada. «Ce n’est que depuis les années 70 que le Canada a adopté une politique officielle orientée vers le multiculturalisme», a-t-elle observé. Par ailleurs, les États-Unis constituent, selon elle, un cas à part en matière d’intégration. «La culture américaine est tellement forte que l’intégration ne soulève pas les mêmes problèmes aux États-Unis que dans des sociétés comme le Québec ou le Canada.»
Pour Marie McAndrew, si le modèle multiculturaliste a bien fonctionné, au 20e siècle, pour promouvoir un sentiment d’appartenance à l’égard du Canada, il n’a pas permis d’annihiler les inégalités économiques. Il risque par ailleurs de ne pas offrir de réponse adéquate aux défis posés par les tensions interethniques qui caractérisent notre époque. «Les tensions qui se font sentir en ce moment en Europe vont bientôt nous rejoindre, a-t-elle déclaré. Et l’impression de supériorité morale qui prévaut au Canada au sujet de l’accueil des immigrants constitue l’un des principaux freins à l’élaboration d’une politique canadienne mieux adaptée aux enjeux actuels.»
Des discussions cruciales
Quels sont les outils dont dispose l’État pour mettre en œuvre une citoyenneté inclusive? Comment peut-on équilibrer les différents droits, ceux des groupes ethniques et ceux de la majorité, jusqu’où doit-on aller dans l’acceptation de la diversité, notamment en ce qui a trait à l’égalité des sexes? Dans le contexte actuel de la montée de la droite et de l’intolérance, les discussions autour de ces questions s’avèrent cruciales, croit Marie McAndrew. «Il est nécessaire de prendre des moyens pour répondre à la peur que suscitent ces questions dans le public. En ce sens, une clarification du cadre à l’intérieur duquel il est souhaitable que le pluralisme s’épanouisse m’apparaît essentielle.»
Si les chartes de citoyenneté doivent être plus claires, les responsabilités qu’elles impliquent doivent concerner l’ensemble des citoyens, et non seulement les nouveaux arrivants, ont fait valoir l’ensemble des conférenciers. À ce sujet, Tamar Jacoby a d’ailleurs fait remarquer que «la plupart des Américains de la rue ne passeraient pas les tests pourtant très simples sur les valeurs et l’histoire des États-Unis que doivent réussir les immigrants pour obtenir leur citoyenneté»!
Trois autres séances plénières et plus de 70 ateliers portant sur différents thèmes liés à l’immigration et à l’intégration faisaient partie du programme de cette VIIe Conférence nationale Metropolis à laquelle ont participé de nombreux professeurs et chercheurs de l’UdeM, dont Jean Renaud, Jean-Guy Blais, Bilkis Vissandjee, Naima Bendris et Fasal Kanouté.
Marie-Claude Bourdon