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Avec Il Duce Canadese, Bruno Ramirez signe son premier film. Mais il avait participé de près à Caffé Italien, Montréal et à La Sarrasine. |
Les 2 et 9 mai prochain, Radio-Canada présentera aux Beaux Dimanches une série télévisée de quatre heures mettant en vedette Marina Orsini, Dino Tavarone, Ron Lea, Tony Nardi et d’autres comédiens canadiens:
Il Duce Canadese =
Le Mussolini canadien. Cette fiction présente les mésaventures des Caruso, une famille de boulangers de La Petite-Italie plongée malgré elle dans un épisode oublié de l’histoire canadienne: l’internement de 800 Italo-Canadiens dans un camp au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
«Il s’agit d’un événement assez méconnu et qui prend tout son sens à l’heure actuelle, alors que les menaces terroristes peuvent amener les autorités à suspendre les libertés individuelles pour des raisons de sécurité», mentionne le scénariste, Bruno Ramirez, professeur au Département d’histoire et spécialiste des mouvements migratoires en Amérique du Nord. Lui-même d’origine italienne, il avait entendu plusieurs témoignages sur cet internement massif quand il travaillait à un documentaire sur les Italo-Québécois avec Paul Tana en 1985: Caffè Italia, Montréal.
La Loi sur les mesures de guerre, rendue célèbre par son application au Québec en octobre 1970, a donc fait des ravages bien avant la fameuse crise. Japonais, Allemands et Italiens du Canada l’ont subie entre 1939 et 1945, dès le moment où leur pays d’origine est devenu «ennemi» de la nation. Le jour même où l’Italie entre en guerre, le 10 juin 1940, la communauté italienne du Canada entre dans la mire des services de renseignements. La Gendarmerie royale procédera à des rafles auprès de 5000 Italo-Canadiens et plus de 800 d’entre eux connaîtront les camps. Certains y ont passé deux ou trois mois, d’autres plusieurs années.
Régie par la convention de Genève sur les prisonniers de guerre, cette politique ne suscitera que très peu de réactions dans le grand public, outre les dénonciations du Globe and Mail.
Pure fiction
Il Duce Canadese est une pure fiction et toute ressemblance avec des personnages réels serait une coïncidence, comme dit la formule. Mais elle se base sur des faits véridiques et met en scène des gens qui ont existé. Le maire de Montréal, Camillien Houde, et un parrain local de la pègre italienne, Rocco Perri, sont incarnés par des acteurs dans cette dramatique.
Bruno Ramirez a écrit ce film à l’invitation du producteur, Claudio Luca, après sa participation aux films de Paul Tana. Il croit que les médias peuvent servir la cause de l’histoire. Mais pas à n’importe quel prix. «J’ai beaucoup hésité avant d’accepter, rappelle-t-il. Je savais que les contraintes de l’écriture télévisuelle seraient grandes et je ne voulais pas faire de compromis sur le contenu.»
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Après deux semaines de réflexion durant lesquelles il s’est projeté toutes sortes de scènes dans son cinéma intérieur, il a vu apparaître la trame mettant en scène cette famille constituée de trois générations d’Italo-Québécois. Le héros, Mario, incarné par un brillant jeune acteur montréalais, Gianpaolo Venuta, subit l’influence de son père (Tony Nardi) et de son grand-père (Dino Tavarone), qui ont chacun un rapport particulier avec la politique. Le petit commerce de la famille connaît des jours difficiles et devient vulnérable aux pressions subtiles d’un notable qui voudrait bien gonfler les rangs des sympathisants fascistes.
Il faut dire que le fascisme a joui d’une immense popularité dans les premières décennies du 20e siècle; même le Vatican a appuyé le gouvernement italien. Montréal n’a pas échappé à cette vague. Dans une célèbre fresque peinte dans l’église Notre-Dame-de-la-Défense, rue Dante, le chef fasciste apparaît au milieu d’une foule de partisans.
Dans son scénario, Bruno Ramirez a eu l’idée d’associer à cette famille un handicapé intellectuel qui, fasciné par l’image du dictateur, se prend lui-même pour Mussolini. C’est lui, le «Duce Canadese».
On sent que le scénariste est assez fier de ce personnage, qui plonge les membres de la famille dans des situations embarrassantes tout en donnant un aspect fantaisiste et humain à ce sujet sérieux.
Ému au visionnement
Forum a rencontré l’historien scénariste au lendemain de son premier visionnement de la série. Alors? «C’était très bien. Je crois que le réalisateur a fait un excellent travail, compte tenu du budget et du temps de tournage dont il disposait. J’ai été particulièrement ému par le jeu de Marina Orsini. Elle a bien réussi à donner vie à son personnage.»
Le tournage s’est déroulé l’automne dernier à Montréal et à Saint-Gabriel-de-Brandon, dans Lanaudière. La série aurait pu ne jamais voir le jour puisqu’un premier réalisateur, Michael Ironside, a abandonné le projet après quelques jours de tournage. C’est Giles Walker qui l’a remplacé, au pied levé, au soulagement de tous.
La série, tournée pour le réseau anglais de Radio-Canada, a été doublée par les comédiens eux-mêmes, presque tous bilingues. C’est cette version qui sera diffusée ce printemps au réseau français de Radio-Canada.
Et les compromis historiques? Acceptables. «Je le répète, je me sens privilégié d’avoir pu utiliser un outil comme la télévision pour communiquer. Je l’ai fait avec la même intensité que lorsque je donne des cours.»
Mathieu-Robert Sauvé