Édition du 19 avril 2004 / volume 38, numéro 28
 
  Le CH tatoué au cœur
Monika Sniec a étudié le rapport des partisans du Canadien avec leur équipe

Monika Sniec ne cache pas sa fascination pour le hockey; elle a même accepté d’enfiler un chandail du Canadien pour Forum.

«Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut», peut-on lire depuis plus de 50 ans au-dessus des casiers des joueurs du Canadien de Montréal. Lorsque Monika Sniec a visité le vestiaire du célèbre club, elle a souri en lisant cette pensée lyrique dont on ignore la source exacte.

Pour l’étudiante d’origine polonaise qui met actuellement la touche finale à son mémoire de maîtrise sur «Les fans du Canadien de Montréal», cette phrase illustre bien les élans d’amour-haine qui emportent les foules partisanes de l’équipe 24 fois championne de la coupe Stanley. «La tradition victorieuse du Canadien de Montréal est un lourd poids à porter pour les joueurs, affirme l’étudiante du Département de communication. Mais pour les fans, c’est encore pire. Les gérants d’estrade sont légion: chacun a son opinion sur tout, des transactions de joueurs à la composition des trios. Quand l’équipe gagne, ils voient la coupe Stanley dans leurs bras; quand elle perd un match, c’est une équipe pourrie.»

Parce qu’elle est l’une des dynasties les plus triomphantes de l’histoire du sport professionnel, l’équipe est un objet d’appropriation culturelle majeur. La famille réunie autour de la Soirée du hockey, diffuseur des matchs depuis l’avènement de la télévision, est une image qui trouve peu d’équivalents dans la société canadienne-française. Et cela, en soi, est un objet d’étude. Mais ce qui a principalement intéressé Monika Sniec dans sa recherche, c’est le rôle joué par les outils de communication dans ce phénomène de masse.

«À peu près personne au Québec n’ignore que le Canadien participe aux séries éliminatoires, signale sa directrice de mémoire, Line Grenier, professeure au Département de communication. Ne serait-ce que pour cette popularité massive, le sujet mérite qu’on s’y arrête.»

Une popularité industrielle

Il faut bien comprendre que le Canadien de Montréal est un produit médiatique au service d’une industrie. «Entre les partisans et les joueurs, il y a un intermédiaire sans qui rien ne serait possible: les médias. On compte au cours de la saison environ 30 journalistes francophones affectés à la couverture des matchs, auxquels il faut ajouter une vingtaine de journalistes anglophones. Cet effectif est encore plus gros durant les séries.»

Pas étonnant que Le Journal de Montréal se lise à l’envers. «Les lecteurs commencent par la fin; c’est là que se trouve la section des sports», fait remarquer Mme Sniec, qui a découvert le hockey à l’âge de 12 ans.

Avec le prix des billets qui atteint facilement 200 $ en séries éliminatoires, il ne faut pas se surprendre que les partisans s’en remettent aux journaux et à la télévision pour accéder aux performances des joueurs. Leur opinion peut alors être influencée par les commentateurs sportifs. C’est à eux que nous devons par exemple le qualificatif «glorieux» pour désigner les joueurs. Les journalistes montréalais francophones l’ont adopté dans les années 70, au moment où l’équipe dominait la Ligue nationale avec sa conquête de six coupes Stanley en une décennie.

À partir d’interviews semi-dirigées, Monika Sniec a cherché à mieux comprendre les liens qui unissent les partisans et l’équipe. «Je me suis dit que la meilleure façon d’explorer ces liens consistait à rencontrer les partisans et à interpréter leurs discours.»

Dans ces discours, il y a beaucoup de nostalgie. De nombreux partisans pensent que c’était bien mieux «dans le temps». Howie Morenz, Aurèle Joliat, Lorne Worsley, Toe Blake, Elmer Lach, Doug Harvey, Jacques Plante, Jean Béliveau, Guy Lafleur, Patrick Roy et Maurice «le Rocket» Richard sont encore des idoles. Mais il y a aussi des passionnés de statistiques, des gens qui se rappellent avec précision les dates marquantes, les joueurs les plus accomplis. On trouve de plus les experts des prédictions qui peuvent devenir des amateurs de paris sportifs.

Étudier la culture populaire

L’étudiante n’a pas été surprise d’apprendre que peu d’études avaient porté sur cette relation entre le Canadien de Montréal et ses partisans. Elle est, pour ainsi dire, la première universitaire à se pencher sur ce sujet dans un mémoire en communication à l’Université. Heureusement, elle a trouvé une oreille attentive en Line Grenier, qui donne depuis longtemps le cours Culture populaire et médias dans le baccalauréat en communication.

Elle-même spécialiste de la culture populaire (elle a entre autres analysé la popularité de Céline Dion), Line Grenier voit dans le Canadien un beau cas sociologique. Et elle s’explique mal que les chercheurs soient si peu tournés vers de tels phénomènes de masse. «La culture populaire draine d’énormes sommes d’argent. Mais il ne faut pas regarder que cet aspect. Il y a beaucoup d’émotivité et de politique dans les liens qui unissent des admirateurs et leurs idoles. S’intéresser à la culture populaire, c’est s’intéresser à la vie des gens.»

En tout cas, Monika Sniec a bien l’intention de faire parvenir au responsable des relations publiques du Canadien de Montréal un exemplaire de son mémoire. Elle a d’ailleurs été invitée à le faire par Dominique Saillant lorsqu’elle a accompagné un groupe de jeunes relationnistes à un match de hockey au cours de la dernière saison.

Une instructive lecture en vue pour les administrateurs du club, durant l’été qui s’annonce long.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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