Édition du 17 mai 2004 / volume 38, numéro 30
 
  Être une femme parmi les «gars de la construction»
Pour faire leur place dans ce secteur non traditionnel, les femmes doivent adopter la culture machiste

Geneviève Dugré

Sur les 107 662 travailleurs de la construction au Québec, seulement 1005, soit à peine 1 %, sont des femmes. Ce taux serait l’un des plus bas en Amérique du Nord. En vertu du programme d’accès à l’égalité, la Commission de la construction du Québec doit doubler ce nombre d’ici 2006.

Les quelques courageuses qui prennent d’assaut l’un des derniers retranchements du pouvoir masculin n’ont pas toujours la vie facile et ne sont pas nécessairement les bienvenues. «Sur les chantiers, ces femmes vivent une double dévalorisation: elles ne sont considérées ni comme des travailleurs à part entière ni comme répondant aux critères de la féminité», affirme Geneviève Dugré. Titulaire d’une maitrise en sciences de la gestion à HEC Montréal, Mme Dugré présentait les conclusions de ses recherches sur ce thème inusité au cours d’un diner-conférence organisé par le groupe Femmes, gestion et entreprises de HEC Montréal le 29 avril dernier.

La situation des femmes sur les chantiers de construction lui a servi de cas type pour analyser la problématique des déséquilibres numériques dans les organisations et plus particulièrement celle des femmes en milieu de travail non traditionnel. Un milieu de travail est considéré comme non traditionnel pour les femmes lorsque moins de 30 % des employés sont de sexe féminin.

Une femme vaut deux hommes

Sur les chantiers, les 1000 postes occupés par les femmes sont principalement des postes de peintres, de charpentiers-menuisiers et d’électriciens. Selon la littérature sur le sujet, les femmes qui choisissent ce milieu aiment le travail physique, manuel, non routinier et à l’extérieur, recherchent de bons salaires et sont à l’aise dans un environnement masculin.

Mais les hommes, eux, sont-ils à l’aise avec la présence de femmes sur les chantiers? Geneviève Dugré a rencontré 24 travailleurs de la construction (15 femmes et 9 hommes) pour connaitre l’état de la situation et savoir comment les femmes réussissaient à s’intégrer à ce milieu plutôt rude.

Tous les travailleurs interviewés, tant masculins que féminins, reconnaissent que la culture des chantiers de construction est machiste et remplie de stéréotypes. «C’est comme dans le vestiaire des joueurs de hockey», affirme Mme Dugré.

Dans cet univers viril, les hommes se livrent un combat de coqs pour obtenir les meilleurs postes ou les meilleures conditions de travail et ils mettent les femmes au défi en leur assignant des tâches plus difficiles que celles demandées aux hommes. La chercheuse donne l’exemple du déchargement d’un camion de bardeaux d’asphalte; deux hommes y sont habituellement affectés, mais on a confié le travail à une seule femme. «Et elle a réussi à le faire, ce qui n’a pas nécessairement plu aux hommes, souligne-t-elle. Dans d’autres cas, on donne aux femmes des outils inadaptés, comme un manchon de rouleau à peinture trop court, et on les laisse se débrouiller.»

Les femmes doivent également s’habituer à un langage plutôt vulgaire où les sacres tiennent lieu de qualificatifs. Sans compter les blagues à caractère sexuel et l’affichage pornographique.

Tous les hommes n’acceptent pas forcément cette culture, mais ils évitent de briser la règle pour ne pas être la cible de sarcasmes ou d’actes d’intimidation de la part des autres travailleurs ou encore devenir des victimes de la discrimination exercée par les employeurs qui embauchent qui ils veulent.

Certains travailleurs affichent par ailleurs un paternalisme père-fille qui stigmatise les faiblesses des femmes et dévalorise leurs compétences. En outre, ce sont elles qui prennent l’initiative de nettoyer le chantier ou les toilettes si elles ont fini leurs tâches. Comme à la maison, quoi!

Stratégies d’intégration

Malgré ce contexte, toutes les femmes interrogées disent aimer leur travail et le trouver épanouissant. Les hommes, par contre, considère que ce type de travail ne convient pas aux femmes. «Nous sommes en présence d’un paradoxe insoluble, affirme la chercheuse. D’une part les femmes ne voient pas d’incohérence entre leur féminité et le travail de chantier, alors que les hommes y voient une contradiction. Elles subissent donc une double dévalorisation, ne correspondant pas à l’image que les autres travailleurs ont de la femme et n’étant pas considérées comme des travailleurs.»

Geneviève Dugré a voulu savoir quelles stratégies adoptaient les femmes pour faire face à la situation et tenir le coup. Les travailleuses recourent à trois types d’attitudes: le conformisme, la minimisation et la singularisation.

La moitié des femmes optent pour la première stratégie: elles se conforment aux lois du milieu en démontrant qu’elles peuvent effectuer le travail et en adoptant des conduites masculines tant dans le langage que dans les comportements de compétition. Autrement dit, «faire un homme de soi».

Les autres femmes choisissent ou de minimiser les disparités de traitement entre hommes et femmes sur les chantiers ou encore, à l’inverse des conformistes, de revendiquer leur place en faisant valoir leurs différences.

Selon Geneviève Dugré, le cercle vicieux pourrait être brisé si plus de femmes étaient embauchées sur les chantiers de construction. Une présence féminine

accrue modifierait, croit-elle, la culture du milieu de même que la façon de travailler. Tout un défi pour la Commission de la construction du Québec puisque, de l’aveu des hommes rencontrés, seulement 20 % des travailleurs de chantiers acceptent la présence des femmes dans leurs platebandes.

Daniel Baril



 
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