Les Popeye et Jeannot Lapin de notre enfance n’ont pas dû souffrir du cancer du côlon. La forte consommation d’épinards et de carottes réduit en effet de 56 % le risque d’être atteint de ce cancer, le deuxième en importance après celui du poumon et le responsable de 20 % des décès par cancer. En Amérique du Nord, l’incidence de ce cancer est 20 % plus élevée chez les hommes que chez les femmes.
Ce sont les caroténoïdes – des pigments aux propriétés antioxydantes – présents dans ces légumes qui auraient un effet préventif sur le cancer colorectal. On trouve les caroténoïdes principalement dans les carottes, les oranges, les navets, le brocoli, les tomates et leurs dérivés, les épinards et autres légumes à feuilles vertes. Certains caroténoïdes, comme le bêtacarotène, sont en outre des précurseurs de la vitamine A.
Des études épidémiologiques avaient déjà montré un lien entre la consommation de caroténoïdes et la réduction des risques de souffrir du cancer du côlon, mais le rapport n’était pas clairement
établi puisque d’autres études concluaient à une absence de corrélation. Pour clarifier la question, Parviz Ghadirian, professeur au Département de nutrition de la Faculté de médecine et chercheur à l’Unité de recherche en épidémiologie du CHUM-Hôtel-Dieu, ainsi qu’André Nkondjock, chercheur postdoctoral à cette même unité, ont poussé l’enquête plus loin en effectuant une nouvelle étude sur les habitudes de consommation de près de 1100 Montréalais de souche francophone (402 cas de cancer colorectal et un groupe témoin de 688 personnes).
Brocoli et omégas-3 chez les femmes
«Dans l’ensemble, notre étude ne révèle pas de corrélation entre la consommation globale de caroténoïdes et la réduction des risques de cancer du côlon, souligne André Nkondjock. Mais des liens apparaissent lorsque nous considérons séparément les types de caroténoïdes et le sexe des personnes de l’échantillon. Certains effets préventifs se manifestent par ailleurs en association avec d’autres composantes alimentaires comme les gras polyinsaturés.»
Un premier effet bénéfique apparait en effet chez les femmes dont l’alimentation contient une forte quantité d’acides gras polyinsaturés, notamment les omégas-3 retrouvés principalement dans les poissons et les fruits de mer. Cette alimentation, associée à la prise de lutéine et de zéaxanthine, deux caroténoïdes présents dans les navets, le brocoli et autres crucifères à feuilles vertes, réduit de 37 % le risque de cancer du côlon.
Cette corrélation n’a pas été observée chez les hommes. Selon les deux chercheurs, l’une des raisons pourrait être le temps de transit des aliments dans l’intestin, qui est plus lent chez les hommes, phénomène dû aux hormones sexuelles. Il est également possible que l’estrogène, qui a un effet antioxydant, augmente l’effet des caroténoïdes en inhibant l’oxydation des acides gras polyinsaturés. Les chercheurs n’excluent pas non plus l’hypothèse que ce résultat puisse être en lien avec le tabagisme plus faible chez les femmes et avec le fait qu’elles soignent davantage leur alimentation que les hommes.
Le tabagisme réduit l’effet
Il semble bien que la consommation de tabac réduise l’effet des caroténoïdes. L’effet préventif du bêtacarotène (présent dans les carottes et les épinards) est de 56 % chez les non-fumeurs, ce qui représente la corrélation la plus élevée mise au jour par cette étude. L’effet de ce même caroténoïde passe à 11 % chez les fumeurs, une corrélation jugée non significative. Une corrélation significative a toutefois été observée chez les fumeurs, soit celle liée au lycopène (présent dans les tomates et leurs produits dérivés), mais elle n’est que de 27 %.
Selon André Nkondjock, la différence de résultat entre fumeurs et non-fumeurs s’explique par le fait que le bêtacarotène est particulièrement sensible à l’oxydation causée par la fumée de cigarettes alors que le lycopène l’est moins.
D’autres études ont en effet montré que la concentration de bêtacarotène dans le plasma sanguin diminue de plus de 25 % chez les fumeurs et de 15 % chez les fumeurs passifs, c’est-à-dire chez les non-fumeurs exposés à la fumée secondaire des fumeurs.
Une alimentation faisant une large place au brocoli, aux navets et aux légumes verts en association avec le poisson et les fruits de mer de même qu’une consommation élevée de carottes et d’épinards, le tout combiné avec l’évitement du tabagisme, réduisent donc de façon hautement significative le risque de cancer colorectal, concluent les deux chercheurs.
Les résultats de cette étude, subventionnée par l’Institut national du cancer du Canada dans le cadre du programme de recherche du professeur Ghadirian, sont publiés dans le numéro de mai de l’International Journal of Cancer.
Daniel Baril