Édition du 31 mai 2004 / volume 38, numéro 31
 
  Professeur-étudiant en Irak
André Poupart, conseiller constitutionnel pour les Kurdes

André Poupart

André Poupart, professeur honoraire à la Faculté de droit, a pris sa retraite en 1997. Cependant, loin de chômer, il a depuis embrassé une seconde carrière, celle d’étudiant en histoire du droit musulman et de conseiller constitutionnel en Irak.

La filière irakienne s’est véritablement ouverte pour M. Poupart en 2001, lorsque l’Institut kurde de Paris l’invite au Kurdistan afin qu’il y donne des conférences sur le fédéralisme, l’organisation professionnelle du barreau et la réforme du Code civil. À ce moment, non seulement le professeur de droit possède une solide connaissance du droit civil et du droit constitutionnel, mais ses études récentes en droit musulman lui ont apporté une perspective culturelle et historique de l’Irak qui s’avérera précieuse.

Lorsqu’il met les pieds au Kurdistan, il découvre un pays relativement moderne et une classe politique avide d’apprendre ce qui se fait ailleurs. Depuis la fin de la guerre du Golfe, en 1991, les Kurdes bénéficient d’une relative autonomie qui leur a permis d’élire une assemblée nationale, de relancer leurs universités, de reloger les habitants des 4000 villages détruits pendant l’opération d’extermination Anfal à la fin des années 80 et de rétablir la sécurité sur leur territoire, dans le nord irakien.

«La société kurde est aujourd’hui une société moderne, qui a admirablement su tirer parti de l’autonomie acquise en 1991», relate le professeur Poupart, qui se rappelle aussi les canons des chars d’assaut postés agressivement aux frontières du Kurdistan, comme si Saddam Hussein rappelait aux Kurdes la fragilité de leur statut.

De haut en bas : Un père et son fils visitent le tombeau de Barzani, "père" des Kurdes. - Au loin, l’Irak puis, plus proche de nous, la Syrie. - Entre les deux, le Tigre. - M. Poupart en compagnie de sa femme, Anne Legaré, reçus par Massoud Barzani, président du Kurdistan d’Irak. - Quatre femmes kurdes - Les camions-citernes remplis de pétrole brut attendent à la frontière turque. La Turquie ouvrant ses frontières de manière capricieuse, il n’est pas rare de voir les camions alignés sur plus de 25 km.

En décembre 2003, M. Poupart est de nouveau invité au Kurdistan. Le contexte a changé: Saddam Hussein n’est plus au pouvoir et le projet d’une nouvelle constitution irakienne, qui reconnaîtrait la nation kurde, est désormais envisageable. L’expertise de M. Poupart est rapidement mise à profit: les dirigeants kurdes veulent avoir son avis sur l’Agreement on Political Process, un accord signé un mois plus tôt par le chef irakien du conseil provisoire et par l’administrateur américain Paul Bremer. Ce document est crucial, car il contient les principes devant guider les gestes qui, ultérieurement, établiront le cadre politique du futur gouvernement irakien. Les Américains, rappelons-le, sont censés remettre le pouvoir aux Irakiens le 30 juin, selon une formule de transition devant aboutir à la tenue d’élections générales en 2005.

Le document de novembre, adopté du bout des lèvres de part et d’autre, préconise une forme de fédéralisme, certes, mais un fédéralisme à l’américaine, centralisateur, et selon M. Poupart «malmenant la spécificité irakienne».

Au Kurdistan, une lancinante question interpelle les experts: le projet officiel est-il ou non compatible avec les objectifs kurdes? Le gouvernement kurde a salué plusieurs volets du projet, dont celui qui accorde un droit d’«opting out» à son assemblée nationale. Mais d’autres revendications majeures sont restées inassouvies: la gestion des ressources naturelles, à commencer par le précieux pétrole et les revenus tirés de son exploitation, est placée entre les mains du pouvoir central. De plus, le statut de la ville de Kirkuk, qui fut victime sous Saddam Hussein d’un nettoyage ethnique, reste imprécis. Faisant la part des choses, les Kurdes ont tout de même apporté leur appui à l’entente.

Cependant, on le sait, le soutien des Kurdes ne suffit pas. Les chiites ont d’abord réagi froidement à l’accord, car, formant de 60 à 65 % de la population irakienne, ils rêvent non de partager mais de prendre le pouvoir. Ils sont convaincus que des élections libres leur apporteront le pouvoir. Et il ne faut pas oublier que les chiites désirent que la charia soit l’unique source de droit.

Pour M. Poupart, il ne fait aucun doute que les insurrections des dernières semaines, au sein de factions chiites mais aussi dans le triangle sunnite, constituent autant d’efforts des uns et des autres afin d’être en position de force lors de la passation des pouvoirs. Mais même cette passation des pouvoirs est aujourd’hui fragilisée devant les tentatives de faire dérailler tout le processus, comme en témoigne l’assassinat, le 17 mai, du président alors en exercice du conseil de gouvernement transitoire, Ezzedine Salim.

«Après toutes les bêtises et les erreurs commises par les Américains, il est difficile d’être optimiste, note M. Poupart. Les autorités américaines mentent effrontément pour justifier leur présence sur le sol irakien, les institutions sont bafouées, la présidence américaine est discréditée.» Les plus pessimistes, poursuit le professeur, croient que l’intervention américaine n’aura pour effet que de remplacer une dictature par une autre. Une chose est certaine, il n’est pas facile d’«imposer librement» un régime politique à un pays, qui plus est en un temps record et en faisant fi de sa culture.

Le professeur s’inquiète plus particulièrement pour la nation kurde, qu’il connaît mieux. «Il serait déplorable que l’expérience démocratique qu’ils ont mise en place au cours des 10 dernières années soit annihilée.» Mais quoi qu’il advienne, le professeur Poupart continuera, lui, de s’intéresser à l’Irak. Il n’est d’ailleurs pas le seul: son agenda prévoit plusieurs conférences sur l’Irak, certaines qu’il écoutera, d’autres qu’il donnera. Tout en poursuivant ses études de maîtrise au Département d’histoire.

Paule des Rivières



 
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